Réalité filtrée et filtrat insipide

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Les médias ne disent pas tout, loin de là. Ils ne sont pas indépendants, isolés sur une île d’objectivité. Ils sont soumis aux sphères du pouvoir. Comme tout le monde. On n’y échappe pas. On épingle souvent théoriquement cinq sphères de pouvoir : économique, législatif, exécutif, judiciaire, et médiatique, mais qui, dans la pratique, s’interpénètrent pour le meilleur et pour le pire. Voyons dès lors comment les pressions qui en émanent façonnent l’information, et donc la perception commune de la « réalité ».

L’Exécutif et la disparition du fou du Roi

Le fou a toujours eu pour mission de rire de son souverain. Dans notre époque souvent décrite comme tellement libre, le rire semble être devenu difficile s’il s’attaque à la classe politique, ou du moins aux plus susceptibles de ses représentants. Le pouvoir politique n’hésite pas à prendre sous son aile des médias trop heureux de pouvoir rester dans le cercle des grands, ceux qui ont les interviews qui comptent… Il suffit de penser à la récente campagne présidentielle chez nos voisins de l’Hexagone. TF1 diffusait une semaine avant le second tour une émission spéciale sur… les arnaques à la Sécu. Selon les propagandistes de la chaîne, cette diffusion n’avait rien de politique. Le Roi Sarko a le bras long. Il a même réussi à le tendre jusqu’à notre petit royaume habité, rappelons-le, par le peuple le plus brave de la Gaule. Tellement brave qu’un de ses outranciers journalistes, Eric Boever, osa rire de l’empereur et de ses hésitations imbibées de vodka au G8. Ce qui aurait dû rester un clin d’œil amusant a fait grincer les dents élyséennes. À tel point que le journaliste a dû s’excuser publiquement et se justifier par le fait que son journal, diffusé à 22h30, lui permettait un peu de distance et de légèreté.

Plus près de nous et de nos préoccupations belgo-flamando-wallonnes, épinglons les menaces de notre futur premier à l’égard de la RTBF qui va « payer » pour lui avoir demandé de chantonner l’hymne national du pays qu’il désire administrer. Ou encore les altercations entre la chaîne publique et le MR, qui l’a qualifiée de « maison rouge » et a appelé publiquement à ne plus la regarder. Peut-on encore sourire des puissants ?

Législatif : de la poudre aux yeux ?

J’ai fait mon devoir de citoyen en juin. Je n’y ai pas été avec des pieds de plomb, mais mon sourire aurait pu être plus franc. Pourquoi ? Car la Belgique s’est engagée dans l’acceptation de lois liberticides à faire pâlir les plus zélés des délateurs : les techniques spéciales de recherche. Une loi votée en douce qui instaure le droit pour la police de mettre en place toute mesure de surveillance, pour toute suspicion de délit pouvant entraîner un an de prison, et ce sans mandat aucun. Aucun parlementaire n’a refusé le projet. Certains se sont abstenus. Aujourd’hui, dire non c’est être absent ou s’abstenir… Aucun média n’en a parlé de manière satisfaisante. Les sources pour critiquer cette loi sont pourtant nombreuses. Elles émanent du conseil des avocats pour la vigilance démocratique, d’associations de défense des droits de l’Homme ou encore de webzines d’information alternative. Les médias de masse se taisent. Pendant ce temps-là, la société civile fait leur travail.

Économique : le nerf de la guerre

Il suffit d’ouvrir la moindre gazette ou le moindre ma-gazine pour se voir vanter des produits que vous valez bien. Il faut bien vivre et les médias ont besoin de la publicité. Impossible donc de ne pas mettre plusieurs paires de gants lorsqu’il s’agit de critiquer une entreprise qui achète des espaces publicitaires dans votre journal.

Médiatique : entre censure et auto-censure

Il arrive bien plus souvent que certains ne le croient que la censure soit pratiquée dans nos belles contrées. Les télévisions ont leur liste de personae non gratae. C’est le cas de Bernard Hennebert. L’homme est président de l’Association des Téléspectateurs actifs. Il égratigne souvent le service public. Qui aime bien châtie bien.
Mais la RTBF ne le lui rend pas puisqu’il est clairement interdit de plateau. Selon le journal Vers l’avenir, « la hiérarchie de Reyers a en effet fait corps ces derniers jours pour que le « trublion » ne puisse plus exprimer ses idées dans les émissions ertébéennes qui voulaient le recevoir. Même le directeur de l’éthique et de l’information, censé prendre de la hauteur, a approuvé la mesure » [1]. Citons également la diffusion postposée et le réajustement de contenu d’un reportage critiquant le plan Marshall, toujours en 2006 sur la RTBF.

Derrière le rideau de la censure «qui vient d’en haut», l’autocensure fait rage également. Il suffit pour l’évoquer de citer le dessinateur satirique Kamagurka : « Je ne suis pas con, je sais bien pour quel journal je travaille, et je ne vais pas dessiner un dessin dont je sais très bien qu’il ne sera pas publié… » [2].
Judiciaire : des décisions discutables peu relayées
La presse ne peut pas parler de tout. La limite physique du nombre de pages est là, implacable. Toutefois, un militant qualifié de pacifique par les ligues de défense des droits humains, et mis en prison en Belgique sous le régime d’incarcération spéciale pour terroristes, et ce sur la seule base de la traduction d’un tract et de l’utilisation d’un « nous » empathique en évoquant la cause kurde, mérite de voir son cas relayé par la presse. Il s’appelle Bahar Kymongur et a aujourd’hui été libéré après quelques mois d’isolement total. Quelques mois de trop. Une fois de plus c’est la société civile qui a fait le travail d’information, pas les médias de masse. Sur les antennes de ceux-ci, je n’ai rien entendu d’autre que des stigmatisations simplistes du style « Bahar Kymongur, terroriste communiste ».

La paresse des publics

Les quelques éléments évoqués ici ne sont rien d’autre qu’un aperçu des jeux de pouvoir qui peuvent se tramer en coulisses. Personne ici n’est à clouer au pilori et les torts sont souvent partagés. Je n’insinue pas que les journalistes sont tous des moutons à la solde de leur ministre ou de leurs annonceurs. Beaucoup font bien leur travail ou essaient de le faire. Peut-être mon acharnement à faire ici le tour d’horizon des méca-nismes du silence médiatique ne cache-t-il qu’une chose : ma propre paresse. Les médias alternatifs existent, mais ils ne sont pas servis comme de la soupe, il faut aller les chercher. S’il est sûr que les médias ne sont pas aussi pluralistes que l’on pourrait le souhaiter, il faut aussi reconnaître que les publics doivent assumer leur part de torts. Alors, comme disait l’autre: « Don’t hate the media, be the media » [3]. Et ainsi peut-être viendra le temps du sixième pouvoir : la société civile.

malaise

Une autre notion est sous-tendue dans certaines citations qui renvoient au terme « silence ». Le silence fait peur et il semble que dans nos sociétés souffrant de communicationite aiguë la parole soit davantage d’or que d’argent. Toutefois rien de neuf sous le soleil, Sophocle écrivait déjà au Ve siècle dans Antigone : « Il y a quelque chose de menaçant dans un trop grand silence. » Le malaise que provoque le silence est caractérisé par d’autres expressions. Le « blanc » dans une conversation est pointé par l’expression « un ange passe » qui rompt un silence pesant dans une assemblée. Le silence n’est pas de bon ton lorsque la situation exige la parole…
Dans le même ordre d’idée, ce malaise provoqué par le silence est soulevé dans une relation intime: « L’ami est celui avec qui on peut rester silencieux. » Camillo Sbarbaro (Pianissimo Rémanences)

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