Quand on parle immigration, on pense surtout à toutes ces populations qui viennent de loin, mal nanties chez elles et à la recherche d’une vie meilleure ici. Il y a trente ans, les Italiens venaient prêter main forte aux mineurs belges. Peu après, les premières générations de Maghrébins s’implantaient en Belgique. Il y a dix ans, on a assisté à l’arrivée des réfugiés africains. Puis suivirent les Turcs, les Kosovares, les Hongrois ou encore les Roumains. Quand on parle immigration, on pense à tout donc, sauf à une forme d’immigration trop souvent oubliée : migrer au sein de son propre pays en quittant le Nord pour le Sud (ou vice-versa) et/ou en passant la frontière linguistique. Un Canadien de Vancouver qui s’installe à Montréal est un donc immigrant. Et en Belgique ? Un Flamand qui décide donc d’habiter ou de travailler en Wallonie est également un migrant…
Depuis 2002, 943 Belges d’origine flamande ont tenté l’aventure de l’autre côté de la frontière linguistique, et plus précisément à Liège. Ce sont les 15-29 ans qui bougent le plus, suivis de près par les 30-44 ans. En 2005, ce ne sont pas moins de 5750 Flamands qui ont franchi le pas de la vie quotidienne en Wallonie. Déménager du côté francophone n’est pourtant pas une décision facile. Même si on ne part qu’à quelques dizaines de kilomètres de chez soi, c’est toute une culture, tout un nouveau mode de vie qu’il faut intégrer. Quitter sa famille, ses amis et ses repères n’est pas simple. L’état d’esprit d’un Ostendais et d’un Namurois n’est pas vraiment comparable. Là où le Flamand aime le sérieux, le Wallon préférera la fête. Si l’on rit jaune en Flandre, ici on rit de tout et de rien. Il s’agit donc de s’adapter à une autre culture, sans pour autant faire l’impasse sur la sienne. Itte Van Meer a quitté Anvers pour suivre son mari à Liège. Forte de son expérience de nouvelle « liégeoise », Itte veut mettre un terme à ces vieux clichés qui opposent Flamands et Wallons. « Avant de travailler à Liège, j’ai travaillé à l’agence maritime belge à Anvers, c’est une très grosse entreprise mais sincèrement, je n’ai pas remarqué plus de paresse de la part des Wallons depuis que je travaille à Liège. Par contre, je reconnais que le cliché est véhiculé, même en Wallonie. Par exemple, j’ai remarqué qu’être Flamand était un atout pour trouver du travail au sud du pays. Moi, ça m’a clairement servi. Certes, le fait d’être bilingue était un plus, mais l’impression qu’un Flamand travaille plus sérieusement est aussi dans les mentalités ». Par contre, Itte ne cache pas que notre humour est bien différent, il n’y a pas d’humour belge mais un humour spécifique au Nord et un autre typiquement du Sud. « À Liège, l’humour a une grande importance. Surtout que le Flamand n’a pas le même humour. Le Liégeois fait passer beaucoup de choses par la sympathie. Mais le Wallon est aussi très ouvert, donc ce n’est pas primordial » (1).
Y a-t-il vraiment de quoi s’inquiéter quant à l’intégration réussie d’un Flamand à Liège ? Nous, les Wallons, ne sommes-nous pas reconnus pour notre chaleur de vivre, notre sens de la fête et de l’hospitalité ? « Il est un fait que le Wallon est perçu comme relativement ouvert. Si un Flamand entre dans un café à Liège, il entamera facilement la conversation avec les clients même s’il ne parle pas bien la langue. Il sera considéré comme un touriste de passage. Mais s’il arrive comme un étranger qui vient s’installer dans la région, cela ne se passe pas comme ça », explique Marco Martiniello, professeur à l’Université de Liège et directeur du Centre d’études de l’ethnicité et des migrations (Cedem). Serions-nous réticents à l’idée d’avoir les amis de Rubens pour voisins ?
Deux trentenaires flamands nous parlent de leur arrivée en Wallonie, de leurs motivations et de leur quotidien. D’après eux, la vie ici est bien agréable et ils n’ont jamais ressenti d’animosité à leur encontre. De quoi faire mentir les études officielles du Cedem ?
Issu d’un mariage mixte entre un
Flamand et une Wallonne, Geoffrey vit aujourd’hui à Bastogne, en province du Luxembourg. Né à Tongres puis scolarisé à La Roche en Ardennes, le jeune homme a décidé de travailler au sud de la Belgique car c’était là qu’il se sentait vraiment chez lui. Aujourd’hui, il est employé dans une société de la province de Liège et plusieurs de ses collègues sont également Flamands. « J’aurais pu travailler en Flandre puisque je maîtrise la langue mais j’avais envie de revenir vivre dans la région pour la tranquillité et la qualité de vie. Avec le recul, je ne pourrais pas parler d’un problème particulier sur mon adaptation, je sais juste que si c’était à refaire, je le referais sans hésiter ».
Cela fait deux ans que Stijn a quitté sa province anversoise natale pour immigrer de l’autre côté de la frontière linguistique. « Notre déménagement n’a rien à voir avec les affaires linguistiques qui opposent la Wallonie et la Flandre, on cherchait avant tout de l’air pur pour les enfants sur conseil médical. Cela aurait pu aussi bien être en France… ». Du point de vue de l’intégration, tout semble s’être bien déroulé : Stijn et sa femme ont trouvé un boulot dans la région liégeoise et les enfants se sont fait des amis francophones. « On pense être bien intégrés. Le fait d’avoir des enfants à l’école du village facilite l’intégration, c’est certain. En plus, on ne se sent pas trop seuls car il y a un autre couple de Flamands qui a aussi déménagé dans notre village. En tous cas, tout se passe bien, les gens sont sympas avec nous et prennent vraiment le temps de venir à notre rencontre. C‘est peut-être ça la plus grande différence avec la Flandre… ». Et les proches restés à Anvers dans tout ça ? « Je ne sais pas comment ils le vivent, à vrai dire. Ils ont acceptés le fait qu’on n’habite pas tout près… Et puis, il y a d’autres moyens de rester en contact, non ? ».
Un pas de plus vers l’ouverture d’esprit, la compréhension et le respect de l’autre…