Mais l’oreille sensible sent certainement l’appel des «zones de silence», qui sur sa vieille carte de la Forêt de Soignes, qui borde la capitale, imprimaient comme la marque d’un trésor. Là, sur au moins un kilomètre carré, les nuisances sonores dues aux activités humaines sont tellement faibles qu’elles n’entravent pas – ou à peine – les bruits naturels de la zone. Malheureusement, un silence absolu ne peut être atteint, paraît-il, dans un lieu qui joue un rôle social, comme par exemple de permettre aux scouts de siffler à l’aise pour diriger leurs jeux de piste. En région bru-xelloise, à l’initiative des défenseurs des engins à moteur et des promoteurs du droit aux décibels, l’appellation de « zone de quiétude » a été préférée à celle de «zone de silence». La forêt de Soignes n’y est plus qu’une zone de silence relatif. Certes, des règles de protection particulière y sont de mise – le cycliste, comme le chien sans collier, évitera les agents dûment assermentés pour contrarier leur soif de liberté. Mais on n’est jamais très loin d’une des autoroutes qui éventrent le poumon vert de la capitale. Ou d’une meute de scouts qui, avec la bénédiction des élus locaux, peuvent faire fuir le moindre raton-laveur à des kilomètres à la ronde en gueulant comme des putois.
L’oreille sensible aura-t-elle plus de chance dans les forêts wallonnes ? Pas forcément. Alors qu’un code forestier remet un peu de silence préservé au coeur de nos forêts, nos va-t-en bruit, toujours bien inspirés, repartent à la bataille sous prétexte de partage respectueux de la forêt au profit de tous. Les zones de silence prévues par le code wallon fondent d’éventuelles limitations de circulation (totales, saisonnières) sur des critères écologiques, établis scientifiquement, massif forestier par massif forestier. «Ainsi, on peut penser, pour les zones écologiquement sensibles, à des restrictions de circulation (générales ou saisonnières), ou encore, pour les massifs forestiers giboyeux, à l’instauration de zones de silence, certes accessibles au public mais où le respect de la quiétude serait plus strictement contrôlé ». Ce qui n’est pas du goût d’un conseiller communal socialiste de Namur, qui lance une pétition pour le droit de polluer et de faire du bruit dans les forêts wallonnes [2]. Il est soutenu par les hordes innombrables d’amateurs de motos tous terrains et de quads, pour lesquels la nouvelle circulaire du ministre Lutgen est une scandaleuse limite opposée à leur défoulement favori.
Faudra-t-il aller voir chez les Flamands, voir s’ils sont plus silencieux que les Francophones – ou s’ils ont une moins grande g…. ? Des enquêtes menées par la Région flamande ont révélé que les confins sud de la Flandre orientale et du Brabant étaient une des régions les plus tranquilles de Belgique. Les administrations communales de Galmaarden (Gammerages, pour les fransquillons nostalgiques), Grammont (Geraardsbergen) et Ninove, en association avec les provinces concernées, ont décidé de mettre cette particularité en valeur et de la protéger. Dans ce but, elles ont créé la « stilte gebied Dender-Mark » (zone de silence Dendre-Marcq), la première en son genre en Belgique, adossée au Pajottenland et irriguée par les deux fleuves éponymes [3]. Cette expérience-pilote, qui court sur 28 kilomètres carrés, n’impose pas de réglementation spécifique. Car « le silence instauré dans cette zone n’est pas seulement acoustique », précise Dirk Sturtewagen, qui a fondé une asbl [4] pour sensibiliser les habitants des villages concernés, « il revêt de surcroît une fonction symbolique. Le silence est bien entendu lié au cadre de vie, mais aussi aux soins de santé, à l’enseignement, l’art, la culture, l’aménagement du territoire, la justice, etc. » La dualité silence-son chère au citadin occidental semble ici s’inverser, le silence n’est plus l’absence de son, c’est une sphère, et le bruit ne peut se comprendre que comme une bulle à sa surface. « En réalité, le silence est à proprement parler un
patrimoine immatériel, au sens où l’entend l’UNESCO – dont la Belgique a ratifié la convention ».
Au sein d’un monde « de bruit et de fureur », agité de soubresauts multiples, conditionné par une techno-science fort bruyante, « le silence et la quiétude (ou le calme) peuvent être considérés comme des biens culturels, qui ouvrent des possibilités nouvelles dans quantité de domaines : culture, patrimoine, agriculture, soins de santé, éducation, justice, aménagement de l’espace, mobilité, … » [5]. Et Dirk de préciser qu’il s’agit de rassembler les riverains autour de l’histoire du silence, et nullement de les empêcher d’utiliser leurs tondeuses à gazon. Ni d’exi-ger des agriculteurs du coin de placer une sourdine sur leurs machines. Une signalisation discrète aux abords de la zone, des dépliants distribués à tous les habitants et offices du tourisme, des « sentiers de silence » qui sillonnent les villages concernés, une exposition sur le thème du silence, des « groupes de résonance » qui réfléchissent (en silence), sont pour l’instant les manifestations concrètes du projet. Des « guides silence » formés par un tout nouveau centre d’éducation à la nature emmèneront l’âme sensible éprise de quiétude sur les collines-témoins d’Aulsberg ou du Congoberg. Ici, les bouviers montent la garde dans le jardinet des villas plutôt laides qui ont sans doute valu à ce hameau ce curieux nom, mais ils n’aboient pas, ils sont en stuc. C’est l’un des endroits les plus remarquables du site par son panorama, qui s’étend sur le pays de la Dendre. Nous ne sommes qu’à quarante kilomètres de Bruxelles, dans une région traversée par le « Tour des Flandres », non loin du fameux « mur de Grammont », tant redouté des coureurs. Et du bois Raspaille (Raspaljebos), qui frémit encore du souvenir lugubre de Jan De Lichte, dont les brigands – la raspaille – rançonnaient ici silencieusement la malle-poste. Mais à Gammerages, le silence éperdu de ces espaces définis n’effraie plus personne.
brève
Un arrêté municipal invite les citadins à accepter les bruits de la campagne.
Le maire d’une petite commune proche de Caen, en Normandie, a pris un arrêté demandant aux nouveaux habitants de cohabiter « sans plaintes » avec le chant du coq, le braiment de l’âne ou encore le son des cloches. Les nouveaux habitants de la commune de Cesny-aux-Vignes, à une vingtaine de kilomètres de Caen, « devront cohabiter sans plaintes avec les animaux domestiques (coq, dinde, poule, pintade, vache, mouton, âne etc.) », proclame l’arrêté reçu au cours de l’été par les habitants de cette petite commune de près de 300 habitants. « Les citadins devront entendre avec respect, s’ils ne peuvent pas les écouter avec plaisir, les bruits de la vie naturelle et sauvage encore existante », déclare encore le courrier signé du maire Jacques Bischoff, qui cite le chant du rossignol et de la tourterelle, ou les hurlements de la chouette. Le maire demande également aux nouveaux habitants de « s’accoutumer aux sons traditionnels » du village, tels que le son des cloches ou le passage des tracteurs et des moissonneuses, et de « tout ce qui peut apporter de la vie à notre village ». Au cours des dernières années, les procédures judiciaires pour troubles du voisinage se sont multipliées.