Beethoven à Arts-Loi

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Pour réaliser leur ambitieuse politique musicale, ils n’avaient pas hésité à privatiser et sous-traiter le service musical des stations à des technocrates surdoués – payés par le contribuable pour transformer chaque station en succursale de Radio Contact. Dans un deuxième temps, pour permettre aux étudiantes du Conservatoire (pour lesquelles M.~Alvin, le porte-parole de la STIB, a visiblement un faible) d’assouvir leurs pulsions musicales, des auditions ont été organisées pour délivrer des patentes — car c’est bien le moins qu’on puisse attendre d’une société de transport qu’elle joue l’arbitre des élégances musicales. En hommage au grand musicien allemand, le plan s’appelle «opération Beethoven». Mais ce n’est que récemment qu’on a appris ce qu’il faut appeler le trait de génie de cette opération. «À partir de novembre, dès 20h30 en semaine et 23h le week-end, on diffusera Bach et Beethoven. Les jeunes n’aiment pas beaucoup. Ils quitteront le métro». D’une certaine manière, ce n’est que justice, ces fauteurs de trouble sont punis par où ils ont péché : leurs oreilles. Comme le disait maître Desproges, «si les jeunes nous sont particulièrement odieux, c’est que leur servilité sans faille aux consternantes musiques mort-nées que leur imposent les marchands de vinyle n’a d’égale que leur soumission béate au port des plus grotesques uniformes auquel les soumettent les maquignons de la fripe. » Allez, ouste, du balai. Allez écoutez ailleurs vos musiques de nègre. Jamais à court d’initiatives, les penseurs de la STIB planchent à présent sur d’autres innovations pour nous faciliter la ville : une « opération Iron Maiden » dans les bus et les trams pour faire fuir les seniors, trop lents et nuisibles à la vitesse commerciale ; des distributeurs d’eau de seltzer sur les quais d’embarquement pour dégoûter les alcooliques qui urinent au petit matin sur le pavimento – la Ville de Charleroi s’est dite intéressée par le projet ; enfin, des sprinklers adaptés qui, dans les rames des quartiers à forte natalité, arroseraient les encombrantes et inadéquates voitures d’enfant de boules puantes que seuls les nourrissons perçoivent – une équipe de chercheurs de l’Université y travaille. L’honorable société pourrait en outre être intéressée par le système « Mosquito » commercialisé Outre-Quiévrain par la société IBP France, et que ces plagiaires de Français, toute honte bue de piller notre génie national, ont baptisé, on vous le donne en mille, « Beethoven ». Mis au point par un ingénieur britannique, ces « moustiques » sont des émetteurs de sons à très hautes fréquences, uniquement perceptibles par les moins de vingt-cinq ans, jouant ainsi sur la perte (naturelle) de l’acuité auditive que l’on observe chez les humains à partir de vingt ans. Avantage: le son est directionnel, c.-à-d. totalement contrôlable, et en outre ne franchit pas les éléments solides tels que murs et portes. Les clients sont essentiellement des magasins, des stations-services, des gares routières, des complexes sportifs, mais aussi des municipalités, qui installent le système dans des lieux publics où des bandes de jeunes ont l’habitude de se retrouver. Certes, des gâche-métiers suisses ont récemment objecté que le système pouvait peut-être se révéler dangereux pour la santé. Mais ces jeunes écervelés n’ont qu’à aller traîner leur désoeuvrement ailleurs que sous les yeux d’honnêtes commerçants. Et puis le système a déjà fait ses preuves à la campagne, pour protéger les champs des volatiles nuisibles.

La musique classique ne stimule pas seulement la production de lait des vaches espagnoles, elle fait chauffer les neurones des responsables de la STIB. Comment ont-ils osé ne fût-ce qu’imaginer une ânerie pareille ? Leur porte-parole a depuis fait marche arrière, parlant d’un malentendu (si l’on peut dire). Il n’empêche que ce vrai faux pataquès s’apparente à la bonne vieille technique du ballon d’essai. On sort des projets dans la presse, on attend la réaction du public (s’il y en a) et des
associations, et on décide en fonction de la réaction. L’émoi suscité, précisément, ne laisse pas d’étonner. Après tout, il ne s’agit que de passer de la musique classique. On se demande d’ailleurs si c’est l’idée de devoir imposer une fugue de Bach dans leurs « voitures de demain » qui insupporte, ou le fait que la musique du cantor de Leipzig soit ravalée au rang de chasse-mouche. Car d’habitude, si vous avez le malheur d’émettre la moindre plainte quant au volume par trop stressant de la pop music injectée à dose de cheval partout où vous traînez vos misérables savates, dans les grandes surfaces, les bistrots, et maintenant les stations de métro, sans compter les lignes d’attentes de la plupart des centraux téléphoniques publics ou privés, on vous regardera sans doute comme un triste sire, marqué du sceau satanique de la pédophobie ou de la bile noire. Essayez par contre de mettre du Brahms à 18h au Proxy Delhaize de Cougnoux-lez-Patafiolles, et tout le monde vous demandera si vous n’êtes pas un petit peu malade de la tête. Non, ce qui est inquiétant, c’est qu’une autre mesure, qui fleure bon le lisier sécuritaire, s’attaquant insidieusement à des personnes souffrant d’exclusion comme les mendiants ou les sans-papiers, n’a pas suscité le moindre froncement de sourcil. « Prenez un coup de jeune avec les voitures de demain », et sachez jusqu’où aller trop loin.

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