L’Etat, d’une part au moyen de la censure, d’autre part parce qu’il finance les médias qui auront logiquement tendance à éviter de mordre la main qui les nourrit, s’octroyant la possibilité de manipuler l’opinion publique remplit les urnes lui-même. Ainsi, pour ne citer que cet exemple, en mai 68, les manifestations et revendications allaient bon train depuis plusieurs semaines lorsque les médias se décidèrent à aborder le sujet. Eviter un sujet, c’est empêcher l’opinion publique de se positionner et d’en débattre. La solution adoptée pour résoudre ce problème fut de libérer l’information de sa tutelle étatique en permettant l’émergence de chaînes privées et en laissant plus de liberté aux chaînes publiques.
Comme on le sait, dans les faits, libération et libéralisation sont pour ainsi dire synonymes et les médias non publics appartiennent désormais à quelques grands groupes financiers. Ainsi, pour ne citer qu’eux, Canal~+ appartient au groupe Vivendi et TF1 au groupe Bouygues qui officie tant dans les télécommunications et que dans le secteur du bâtiment. Comment dès lors espérer, par exemple, une information objective sur les dangers de l’exposition aux ondes de nos téléphones portables bien-aimés ? On peut donc en supputer que, dépendants des trusts qui les financent, la liberté d’expression et l’autonomie de l’information sont autant de droits fictifs.
Mais s’en tenir à ce niveau d’analyse serait bien superficiel. En effet, la principale conséquence de la libéralisation des médias, c’est que désormais un journal ou une chaîne de télévision sont des entreprises comme les autres, c’est-à-dire que leur finalité est principalement mercantile. Ainsi, Patrick Le Lay, pdg de TF1, d’affirmer: «Nos émissions ont pour vocation de rendre disponible le cerveau du téléspectateur: c.-à-d. de le divertir, de le détendre pour le préparer entre deux messages. Ce que nous vendons à Coca-cola, c’est du temps de cerveau humain disponible» 1. Il va de soi que plus l’audimat sera élevé, plus ce temps pourra être vendu à prix d’or. Cette course à l’audimat influence jusqu’au choix des sujets abordés par les J.T. . On sait notamment que les sujets internationaux font baisser l’audimat. Donc, priorité à l’information de proximité. Ceci explique par exemple pourquoi plus de temps d’antenne a été consacré à l’affaire Dutroux qu’au génocide rwandais. Et c’est ainsi qu’une nouvelle forme de censure, non plus politique, mais économique a trouvé sa place dans nos médias. Et le droit à l’information dans tout ça?
Notes:
- In Les dirigeants face au changement, Ed. du huitième jour, 2004. ↩