D’un côté, il y a eu quelques tentatives de récupération par l’industrie publicitaire de l’image et de l’esthétique antipub. On a aussi pu voir par exemple la réaction pour le moins incongrue de la RATP qui, face à la prolifération de manifestations antipubs dans le métro parisien, a fini par offrir pour une semaine une cinquantaine de panneaux vierges destinés à la libre expression du public — de l’espace publicitaire offert aux antipubs, en quelque sorte! D’autre part, on a vu des assos’ «alter» ou «écolo» se payer des encarts publicitaires pour y faire passer des messages hostiles à la publicité. C’est justement là un moyen d’action privilégié des fondateurs du mouvement outre-atlantique «Adbuster» (chasseur de pub), qui vont jusqu’à réaliser des spots télés antipub destinés aux grandes chaînes commerciales américaines! D’ailleurs, certains des fondateurs du mouvement viennent purement et simplement du monde de la pub pro.
Ces derniers temps, une fois l’engouement du grand public pour un mouvement antipub sympathique et «rafraîchissant» un peu retombé, on a pu entendre de plus en plus des critiques. Dans la forme et le langage, les antipubs utiliseraient, nous dit-on, des techniques identiques à celles utilisées par les agences de promotion commerciales. Que penser de tout ça?
Des objectifs radicalement opposés
Plusieurs remarques s’imposent d’entrée de jeu. D’abord, rappelons un point essentiel qui différencie les antipub: leurs discours n’ont pas de fins commerciales. Et ça fait quand même une sacrée différence! Ce à quoi les détracteurs du mouvement répondent que les messages antipubs ont par contre des objectifs politiques, idéologiques, ou de propagande. Globalement, on pourrait résumer l’idéologie sous-jacente des antipubs comme anti-capitaliste, ou à tout le moins anti-consumériste. Etiquette que ne rejette d’ailleurs pas le mouvement dans sa très large majorité. Mais certains défenseurs de la «culture pub» vont plus loin, et voient dans l’antipub une idéologie dangereuse pour la démocratie, moralisatrice, passéiste et castratriste, faite d’intégrisme vert ou féministe. Dans ce sens, un article du journal «Le Monde» titrait: «L’antipublicité ou la haine de la gaieté» 1… Ainsi, les antipubs négligeraient les aspects culturels et artistiques de la pub; pire, en s’opposant à l’industrie publicitaire, ceux-ci nieraient certains principes fondamentaux de nos sociétés fondées sur une « économie sociale de marché », telles la liberté d’opinion et d’expression, la liberté de choix individuel, ou la libre-concurrence censée profiter aux consommateurs… Questions de points de vue.
Qui assimile pub et antipub?
Lorsque l’on cherche à analyser la pertinence des arguments qui renvoient dos à dos et dans le même sac discours publicitaires et antipubs, il faut avant tout savoir de qui ils émanent.
On trouve d’abord, au sein même de la mouvance altermondialiste, à laquelle on rattache souvent les antipubs, une opinion minoritaire selon laquelle les stratégies déployées risqueraient in fine d’être contre-productives, suivant l’adage «en bien ou en mal, plus on parle de quelque chose, plus on lui fait de la pub». Ceux-ci estiment que les techniques de détournement de pub débouchent paradoxalement pour le grand public sur un renforcement de la marque ou du produit concernés, par un effet de publicité indue…
Ensuite, il y a tout le discours médiatique sur le mouvement antipub, assez ambigu, même si à première vue il donne du phénomène une image plutôt sympathique. Il faut pourtant se rappeler à quel point les médias dépendent financièrement des recettes publicitaires, et avoir à l’esprit l’imbrication toujours plus grande de l’industrie des médias et de celle de la pub. Ainsi, la presse nous vend du mouvement anti-pub, sur papier glacé et…entre deux pages de pubs!
Les antipub vus par les médias
C’est ce qu’analyse François Brune 2, essayiste et activiste antipub français, créateur du collectif «Résistance à l’Agression Publicitaire» (RAP) dans un article du «Monde Diplomatique» au titre cinglant: «Un mouvement convoité par quelques vautours: l’antipub, un marché porteur» 3… On peut y lire que sous les dehors d’une présentation sous un jour favorable, c’est bien à tous les mécanismes de la récupération médiatique qu’est soumis le mouvement antipub dans la presse, y compris la plus à gauche. Avec d’abord, l’effet «de vaccin»: on introduit une faible dose de «poison antipub», et au final, la pub s’en trouve consolidée. Ainsi, dans un dossier de Libération intitulé avec ambiguité «Antipub: une génération spontanée en procès» 4 — en référence aux ennuis judiciaires des antipubs — on peut lire: «Puisque trop de pub tue la pub, la contestation ne peut pas faire de mal; surtout si elle aide à renouveller le genre». Puis, un peu plus loin, cette citation d’un publicitaire déclarant, dans le même sens: «Les antipubs nous obligent à être meilleurs»…
Les médias, en mettant en avant l’étiquette «anti-pub» — un nom qui ne vient pas au départ du mouvement lui-même- donneraient du mouvement une image peu cohérente. Les antipubs seraient décrits comme une nébuleuse hétéroclite composée de marxistes et d’anarchistes, d’étudiants néo-situ et d’écolos décroissants, d’artistes performers et de féministes, voire d’intégristes de tout poil, ligués contre un même objet de détestation qui leur servirait de défouloir: la pub.
Si cette vision d’un regroupement hétéroclite d’éléments contestataires recouvre une part de réalité, beaucoup plus gênant est l’aspect du traitement médiatique réservé aux antipubs, qui écarte le fond du discours pour ne mettre en avant que sa forme. Ainsi, la presse a une fâcheuse tendance à trouver les théoriciens ou les assos’ marxisantes ou écologistes radicales condamnant la publicité («Les Humains associés», ou «Agir pour l’environnement») ringards et ennuyeux, là où elle trouve les nouvelles pratiques relevant de l’action directe antipub («Casseurs de pub») géniales et très «tendance». Or, ces deux réalités de l’antipub sont indissociables, les discours des premiers se réalisant à travers les actions directes, et les collectifs d’actions directes trouvant leurs fondement dans le discours des premiers… Mais les médias ont tendance à ne retenir que du factuel, du sensationnel, des belles images de groupes de jeunes qui se défoulent, bombes de peintures à la main.
Droit de légitime réponse
Quand on sait que nous sommes en moyenne soumis à 7000 stimuli publicitaires par jour, on se rend compte de la toute-puissance de la machine à coloniser les esprits qu’est l’industrie publicitaire. Face à ça, tout mouvement de résistance n’est-il pas plutôt bienvenu? Et puis, l’une des caractéristique de la publicité est d’être une communication à sens unique, où seul l’émetteur-vendeur à la parole. La pub assène sa vérité, et le récepteur du message publicitaire, le citoyen-consommateur passif n’a plus qu’à y adhérer, à désirer et à acheter le produit dont on lui vante les mérites! Ainsi les antipubs, dans leur littérature ou à l’occasion des procès qui leur ont été intentés, ont-ils introduits le concept original de «droit de légitime réponse» pour justifier leurs pratiques du barbouillage ou du détournement!
Comme il est dit dans un article consacré au collectif «Stopub»: «Le mouvement antipub, né au départ d’un rejet du discours ultra-consumériste, tend progressivement à se métamorphoser en en mouvement de reconquête de la liberté d’expression et d’intervention au sein de l’espace public» 5
Et face à un monde
globalisé, marchandisé, et en voie d’uniformisation, ces différentes pratiques dissidentes ne constituent-elles pas finalement un cas de «légitime défense»?
Notes:
- Robert Redeker in «Le Monde», 11-12 avril. ↩
- François Brune, «Le
Bonheur conforme» (Gallimard, 1985) et «De l’idéologie aujourd’hui» (Parangon, 2004) ↩ - [Le Monde Diplomatique, Mai 2004->http://www.monde-diplomatique.fr/2004/05/BRUNE/11178]. ↩
- Libération du 12 mars 2004. ↩
- [«Stopub: analyse provisoire d’un rhizome activiste», A. Gattolin, T. Lefèbvre, 2004->http://multitudes.samizdat.net/article.php3?id_article=1376]. ↩