Le poète se débrouille (mal)

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On est à peine le deux que déjà

Arrive la fin du mois

Le porte-monnaie est vide

La tire-lire revendue

Les crédits dépassés

Le poète ne peut pas chauffer sa mansarde

En brûlant ses bras

Ni bouffer des orteils

A longueur de journée

Pour faire taire son estomac

Le poète vendrait bien son corps à l’orée d’un bois

Mais sa panse un peu flasque

Les mycoses de ses pieds

Son haleine de vieux dentier

Repoussent les clients

Ils vendrait bien sa mère et ses petits-enfants

Mais il n’en a plus guère

Depuis qu’il n’a plus d’argent

Il s’est retrouvé seul

Avec le temps qui passe

Sans même le regarder

Il a compté et recompté

Les araignées au plafond

Et les bruits dans la rue

On échange des boulettes

On s’engueule comme du pus

Et on se pique plus loin pour oublier tout ça et puis on recommence

Le poète a déjà ça pour lui

Il n’aime pas les seringues

C’est déjà ça en moins

A payer

Mais si ça continue

Il va devoir vendre un rein un œil un poème

Un truc vraiment à lui

Pour sauver une vie

Et ça ne lui plaît pas trop

Après ce qu’il a vu à la télé

Les types qui demandent des reins

C’est comme s’ils ne demandaient rien

Ils n’en ont pas besoin

Et si c’est pour regarder des trucs comme ça

Ses yeux

franchement

Il s’en passerait bien

Le poète

Et sans rien en échange

Mais il a plus d’une poche dans son tour

Le poète

Il en a deux sous les yeux

Et même si elles sont vides

On peut encore les remplir

Avec des petites miettes d’espoir

Qu’on s’en ira semer

Sur les sentiers des forêts avec le Petit Poucet

Et ses six frères à gaufres

Voilà une bonne idée

Qu’il se dit le poète

Il achète un gaufrier et plein d’autres machins

Une allonge électrique

Et de quoi faire la pâte

Il a tapé un copain

Pour son fond de commerce

Et tout fourré dans une valise

Il monte dans un train

Dans le siège du fond

Là où les types en cravate branchent leur PC portable

Il fait chauffer sa pâte ses croque-monsieur son expresso

Il les vend sans crier gare aux voyageurs du train

Ça marche plutôt pas mal

Le contrôleur du train lui en achète une caisse

Et le chauffeur un thermos

S’il n’y avait la police des chemins de fer

Il ferait des affaires

Mais on lui a confisqué la valise la cafetière et l’appareil à croques

Ne reste que la dette au copain

Alors c’est sans allumer la lumière

Pour pas se faire remarquer

Que le poète en mansarde se remet à penser

Il suffit d’une idée

Qu’il dit

Pour renflouer sa bourse

Le lendemain il repart

Avec un vieux mixer du lait et des fruits frais

C’est jour de canicule

Ses milque-chèques se vendent comme des petits pains

Servis dans les gobelets du Quick

Récupérés dans les sacs poubelles et lavés aux toilettes

Avec des pailles toutes propres et des serviettes aussi

Mais les flics des chemins de fer ouvrent grand leurs deux yeux

Ils emportent le stock et lui envoient des grands coups de pied au derrière

En le balançant du train

Violence corporelle s’écrie le poète exalté

Vous avez vu

Madame

Ils m’ont bien tabassé

Voulez-vous témoigner

Je suis victime de violence

Le poète entame un procès

Mais un procès ça coûte

Et l’avocat Pro Deo sent les prouts

Il bave en l’écoutant

C’est un gros dégoûtant

Le poète s’enfuit et se dit que sa cause est perdue

Il ne lui reste qu’une issue

Fonder une religion

Sans Allah, sans Jéhovah et sans Dieu

Il n’a pas de quoi payer la franchise

Et les royalties

Une religion de poche qui donne de l’espoir aux moches

Et leur promet la baise éternelle sur des coussins nacrés

Il invente des mots magiques

La précoussination la caresse rédemptrice

Et le porno du dimanche qu’on regarde en famille

Il est ouvert à tous

Et à toutes surtout

Ouvert de cinq à secte

Mais il ne convainc que des nases

Le type vissé au bar et celui qui dort aux
toilettes

Pourtant son projet était fort

Rien de plus juteux que de vendre du vent

Et du vent éternel

Surtout

Le poète tente encore

De convaincre sa propriétaire de baiser avec lui en échange du numéro de
digicode

Du paradis

Dans sa version perso l’Eden s’est modernisé

Mais elle veut le loyer et quitter au plus vite cette mansarde

Qui sent le vieil homme seul

Et le désespoir infini

Elle s’en va sans argent le poète n’a rien à donner

Il ne lui reste qu’un bête texte

Tout bricolé

Il l’envoie par la poste

Dans une enveloppe non timbrée

Il faut croire à la chance

Qu’il marmonne

En remontant l’escalier

Mais quand il arrive en haut

Sa porte est scellée

La vieille l’a viré

Je ne suis pas fait pour la débrouille

Conclut le poète

Et il va en raclant des pieds

Se déposer au mont de piété

En échange de quoi bouffer

Et comme il n’aura jamais de quoi rembourser la somme

Le poète jusqu’à la fin des temps

Prendra la poussière

Chez le prêteur sur gages

Entre un fauteuil moisi et un tas de bagages

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