C4 : Pourriez-vous décrire en quelques mots le métier que vous exerciez?
Georges : J’étais créatif dans des agences de publicité. A la fin de ma carrière, j’étais devenu directeur de création. J’ai toujours exercé à Bruxelles, dans de très grandes agences d’abord, puis dans de plus petites, et aussi dans des agences de promotion. J’ai 59 ans et j’ai dû arrêter ce métier il y a une dizaine d’années.
Pierre : J’ai exercé la fonction de responsable marketing et communication dans un groupe financier international. Je viens de quitter ce poste pour créer une entreprise.
C4 : Qu’est-ce que la publicité pour vous ?
Georges : C’est la communication que des marques et des produits font envers le public pour promouvoir leurs ventes et gagner des parts de marché. La publicité joue sur tous les systèmes possibles -le son, l’image, le texte, des actions sur le terrain…- pour faire entrer ces marques dans le subconscient des gens. Par exemple, Coca Cola a un jour décidé d’arrêter toute publicité par image pendant trois mois au Portugal, pour mesurer le résultat sur les ventes. Elles ont chuté de 30%! Même si on ne voit plus la pub parce qu’elle fait partie du mobilier urbain, elle rentre dans nos têtes. Il existe également la promotion des ventes, qui est de la publicité à effet immédiat, par exemple quand on vous dit que vous aurez 10% de réduction si vous achetez une TV dans le mois qui vient. La publicité travaille dans le subconscient des gens, et la promotion travaille directement dans leur porte-monnaie.
Pierre : La pub, c’est une action purement commerciale. On achète un espace où on s’exprime comme on veut. Dans les relations publiques, on parle plus de communication, on essaie de placer son message dans la presse, d’influencer un journaliste, par exemple, pour qu’il écrive positivement sur votre produit.
C4 : Pour la conception de nouvelles campagnes, avez-vous recours à votre intuition ou à des instruments de mesure? De quelles disciplines scientifiques ces outils sont-ils issus ?
Georges : Les créatifs travaillent plutôt à l’intuition. On tente de se rapprocher le plus possible de la cible visée, par exemple la femme de 40 ans pour tel produit de beauté, l’enfant pour un jouet… et on s’adapte à elle, à ses désirs, à son langage. Le recours à des outils scientifiques d’analyse est fait en amont du travail du créatif et il consiste en études de marché, en enquêtes de terrain…
Pierre : On a recours tant aux instruments de mesure qu’à l’intuition. Le point de départ, ce sont des données qu’il faut rassembler et qui permettent de choisir une certaine direction pour une campagne de pub. Puis c’est l’intuition qui entre en jeu, il en ressort des idées, qu’on va ensuite vérifier. Par exemple, dans une organisation internationale, on va d’abord vérifier en interne dans plusieurs pays qu’un message n’a pas une connotation négative dans certaines cultures. Puis on vérifie en externe auprès de clients existants ou potentiels si le message passe bien. On ne peut donc pas vraiment parler de méthode scientifique, mais certaines analyses permettent de dégager des tendances.
C4 : Quel est l’objectif d’un publicitaire ou d’un gestionnaire de relations publiques?
Georges : L’objectif essentiel de la pub est de vendre. Vendre des idées d’abord, puis vendre des campagnes qui sont l’idée développée et traduite dans un ou plusieurs médias. Dans les relations publiques on essaie de toucher des gens qui ont de l’impact sur le grand public, principalement des journalistes ou des rédacteurs de magazines qui vont parler du produit qu’on tente de vendre.
Pierre : L’objectif est le même. La publicité et les relations publiques sont deux manières différentes de faire la même chose. Il s’agit d’organiser la rencontre entre un message bien défini et un public aussi bien défini. Une fois qu’on sait à qui on veut parler, on définit les moyens à utiliser pour atteindre ce public.
C4 : Peut-on mesurer la performance d’une campagne ?
Georges : Oui, notamment par des interviews de gens dans la rue, qui permettent d’évaluer si c’est bien notre campagne qui fait que tel produit est connu. On interroge en général cent ou deux cents personnes.
Pierre : Oui, mais ce n’est pas une science exacte, car les paramètres qui entrent en jeu sont très nombreux. On peut utiliser des statistiques, essayer de dégager des tendances, mais il faut rester prudent par rapport aux instruments de mesure.
C4 : Les relations publiques peuvent-elles être une arme ?
Georges : Tout est relatif. Si on dépense beaucoup d’argent dans les médias, on aura plus d’impact que si on fait une annonce dans un petit toutes-boîtes. Si on fait d’immenses affiches de rue, ça ne peut qu’être vu et ça rentre dans la tête des gens même si ils ne les regardent pas vraiment. Pour que le message passe dans l’inconscient, il faut que le texte soit agréable à lire et compréhensible du premier coup.
Pierre : La communication ce n’est pas une arme : c’est probablement beaucoup plus efficace que la plupart des armes ! C’est aussi l’alternative aux armes, pour éviter de se taper dessus, il faut communiquer. Il faut bien sûr aussi voir qui l’utilise et de quelle manière, les intentions peuvent être bonnes ou mauvaises.
C4 : Quelle est la place des relations publiques ou de la pub dans notre société?
Georges : Je crois que la pub a moins d’importance aujourd’hui qu’il y a une vingtaine d’années. On est arrivés à saturation parce qu’elle est trop présente, on ne la voit presque plus. Pour le publicitaire, c’est plus difficile de trouver quelque chose que les gens regarderont vraiment.
Pierre : Les relations publiques sont un élément essentiel de notre société démocratique, si on entend par relations publiques le fait de pouvoir faire entendre son point de vue. Elles vont permettre à des points de vue minoritaires de se faire entendre, aux citoyens de se regrouper et d’agir…
C4 : Quels seront les grands marchés de demain dans ces domaines?
Georges : La publicité est tributaire des moyens de communication qu’on va continuer de découvrir. Je crois que c’est Internet qui va prendre la plus grande place. Déjà, la pub sur Internet est devenue presque un virus, ça pollue l’écran. On sera bientôt engloutis par les messages publicitaires, et je ne sais pas comment les gens vont arriver à trier tout ça.
Pierre : L’infrastructure des télécommunications est en train de changer complètement les choses. Avec l’évolution d’Internet ces dernières années, le monde et la perception du monde ont changé, la planète s’est comme rétrécie parce qu’on est tous connectés. La téléphonie mobile va permettre de délivrer des messages beaucoup plus segmentés et ciblés, d’éviter de toucher des gens qui ne sont pas concernés. Ca pose aussi la question de la confidentialité des données et de l’intimité. Je pense aussi que dans le futur, ceux qui ont plus d’argent pourront payer l’absence de publicité. Par exemple, on va avoir de plus en plus d’offres de téléphones et d’abonnements téléphoniques complètement gratuits, mais qui vont en contrepartie nous faire entrer dans des fichiers qui vont permettre de nous envoyer des pubs. Plus on va payer, plus on pourra se soustraire à ces messages publicitaires.
C4 : Quelles sont les contraintes juridiques principales de votre métier ?
Georges : Il y en a beaucoup. Dans notre démarche de créatif, on doit en tenir compte. Si on présente à notre patron une campagne qui ne respecte pas ces contraintes, nos idées ne sont pas acceptées. Il y a des choses qui sont interdites comme de faire de la publicité pour des médicaments. Avant, la publicité comparative était interdite, mais ça commence à changer. Je me souviens d’une pub américaine pour Coca Cola où il y avait une comparaison visuelle avec Pepsi. Ici, on peut faire de la comparaison par les mots, mais pas par l’image.
Pierre : Le métier est large et il y a donc beaucoup de contraintes, mais pas forcément légalement codifiées. Par exemple, il y a des contraintes de respect des
langues locales, il faut respecter les droits d’auteur de ceux qui ont fait les images…
C4 : La publicité use de techniques qui peuvent jouer sur le désir des gens et induire leur comportement, y compris en politique. Est-ce contraire à la liberté individuelle ?
Georges : Ce sont rarement des agences de pub qui se chargent des campagnes électorales, ce sont plutôt des indépendants. Une agence de pub connue sur le marché qui ferait la pub d’un parti y serait assimilée et risquerait de perdre des marchés. Il y a aussi une déontologie qui ne nous permet pas de travailler pour plusieurs produits concurrents. Si je travaille pour Coca Cola, je ne peux pas travailler pour Pepsi. Cette déontologie est gérée par le Jury d’éthique publicitaire, qui fonctionne un peu comme l’ordre des médecins. Il est vrai qu’on a un grand pouvoir sur le subconscient des gens et qu’on peut les manipuler. C’est le grand reproche que nous font les anti publicitaires. Pour moi, la publicité est une sorte de presse, à orientation commerciale, d’accord, mais on a le choix de la lire et de la suivre ou non. Sauf si on va jusqu‘à vous téléphoner chez vous ou vous envoyer sans cesse des emails, là c’est plus embêtant.
Pierre : Absolument pas. Quand un groupe s’organise pour faire valoir son point de vue, ce sont des relations publiques. Si on limite ce droit, on limite aussi la démocratie. Si il n’y avait pas la possibilité de faire des relations publiques, on mettrait en danger la démocratie. Le fait qu’on puisse s’organiser pour faire valoir un point de vue permet aussi à des idées minoritaires de s’exprimer. Par contre, certains points de vue sont mieux organisés et arrivent mieux que d’autres à se faire entendre. Là c’est la question des moyens qui pose problème et ça peut devenir anti démocratique. Mais Internet permet aujourd’hui aux points de vue minoritaires de se faire entendre avec très peu de moyens.