Une semaine d’activation au VDAB

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Sara habite à Wemmel, une des six communes à facilités de la périphérie bruxelloise, qui forment l’hinterland naturel de la capitale, mais qui, de blocages institutionnels en crispations communautaires, et bien que largement bilingue dans les faits, se retrouve dans la riche, prospère et unilingue région flamande. Elle est au chômage depuis un an, ce qui lui vaut une « invitation », plutôt de celles qu’on ne refuse pas, à passer une semaine en compagnie des agents du VDAB.

Elle se retrouve avec un groupe de sept demandeurs d’emploi de longue durée, qui entrent en phase d’accompagnement « curatif », selon la terminologie médicale en vogue auprès des gestionnaires du chômage – ceux qui sortent de l’école ont droit, eux, à un accompagnement « préventif ». Ce petit monde se retrouve autour d’une table avec deux sympathiques « facilitatrices ». On se tutoie, on échange des sourires faussement complices et des rires gênés. C’est un peu crispé, mais bon enfant.

Les facilitatrices sont là pour aider les demandeurs d’emploi à réintégrer la société et trouver un emploi stable (le sésame, le Saint Graal: le CDI), ou pour les aiguiller vers un statut plus adéquat avec leur mode de vie et leurs aspirations (pause carrière, congé parental, statut d’indépendant,…). Cet « accompagnement » d’une semaine sera prolongé par un entretien une fois par mois avec un facilitateur, avec obligation de lui fournir des informations précises et des preuves concernant la bonne volonté que l’on met à trouver un emploi. Une farde nommée « werkmap voor de werkzoekende » (notez l’allitération) est distribuée à cet effet, et se devra d’être rapidement pleine.

Première leçon de vie (il y en aura beaucoup): être honnête, participer activement et faire preuve de bonne volonté durant ces quatre jours de présence obligatoire. « C’est pour votre bien ». Traduisez: pour éviter des sanctions. On passe ensuite en revue les droits et obligations des chômeurs, étrangement similaires. La semaine se réduira en fait à cela. « Après nous avoir culpabilisés, s’indigne Sara, et fait comprendre ce que l’on devait penser et faire si l’on souhaitait continuer à bénéficier des allocations (et profiter d’un système extrêmement généreux et unique au monde, qui ne fonctionne que grâce aux travailleurs), l’on nous fait réciter « la leçon » comme s’il s’agissait de nos propres mots et aspirations ». A la fin de la semaine, il s’agira de rédiger soi-même le contrat qui stipule les actions que le « client » [1] s’engage à poser pour trouver un emploi. Si ces dernières ne sont pas jugées suffisantes, elles sont évidemment réajustées en fonction des quotas définis par Frank Vandenbroucke, ministre régional flamand de l’Emploi. Soit un minimum de vingt sollicitations par mois. « Nous avons aussi dû remplir trois fois des formulaires reprenant les infos sur notre situation, parcours, aspirations…, avec des formulations un peu différentes à chaque fois, en faire une présentation orale devant le groupe, subir deux entretiens personnalisés, etc., pour finalement répéter des informations censées se trouver dans notre dossier dès le départ ! ».

Des techniques qui s’apparentent à du conditionnement. C’est qu’au VDAB on voudrait que la supplique aux employeurs devienne une seconde nature du sans-emploi, ou mieux: un réflexe pavlovien. Ce dressage passe aussi par une série de « jeux », de « mises en situation », toutes plus bidons les unes que les autres, mais qui ont l’avantage de faire tomber dans le panneau des chômeurs un peu naïfs, ou tout simplement mal informés. Ou qui, contrairement à Sara qui la parle couramment, ne comprennent pas la langue de Vondel, parce qu’ici il ne faut pas espérer qu’on vous « facilite » la vie en s’entretenant de votre avenir dans votre langue, une situation qui est régulièrement dénoncée par les élus francophones de la périphérie [2]. Une jeune mère de famille marocaine, joyeuse et très spontanée, avoue au détour d’un « jeu » que « en fait, oui, [elle a] choisi d’être au chômage pour élever
[ses] enfants »… Et crac dedans ! Exactement ce qu’il ne fallait pas dire. C’est un des buts explicites du plan d’activation: lutter contre la « fraude » et le « profitariat social », selon la belle expression du député libéral flamand Rik Daems [3].

Mais au VDAB, on a plus d’un tour dans son sac. On vous propose une petite question anodine, dans un jeu de questions-réponses: « Etes-vous prêt(e) à accepter un travail en noir ? » (carton vert: oui, carton rouge: non). La plupart montre son carton rouge, sauf deux pigeons, qui, s’ils ont de la chance, en seront quittes pour un savon et un exposé par le menu (à réciter ensuite) sur ce qu’est le travail au noir et les risques encourus. Mais au fait, qu’est-ce qui tombe sous cette catégorie ? Vous ne le saviez pas ? Aller chercher du pain pour la voisine âgée. Ou garder les enfants de sa sœur. Ou soigner sa grand-mère malade. « Comme vous avez les dents longues, mère-grand. – Il faut éviter les abus, mon enfant, car il y en a ».

Sara n’en peut plus et sort de ses gonds. « Je trouve cela scandaleux et me demande comment quelqu’un a osé rédiger de telles aberrations! Encore heureux qu’il y ait des abus… Un chômeur n’aurait donc même plus le droit d’être tout simplement humain!». Il est en effet contractuellement tenu, parce qu’il a signé sa carte de pointage et touché des allocations, soit de demander (sans garantie de réponse favorable) une autorisation pour effectuer ce « travail » bénévole ou encore d’avoir recours aux chèques-services. Cette réglementation est aussi valable pour les prépensionnés et les pensionnés. Toute personne ne disposant pas d’un travail rémunéré doit, au moindre acte de sociabilité, en référer aux instances concernées. Toute forme de convivialité doit être dûment déclarée ou cesser d’exister.

Récemment, la loi sur le travail bénévole a été modifiée. On reconnaît que c’est un plus pour les demandeurs d’emploi de s’employer bénévolement, mais seulement en tant que premier pas vers la réintégration du monde du travail, et à condition que l’activité soit jugée « utile » à la société, et surtout, que la « disponibilité du travailleur par rapport au marché de l’emploi ne se trouve pas amoindrie du fait de ses activités bénévoles » et ne constitue pas un travail en noir déguisé. « Et une formation ? », risque une téméraire. Une formation est envisageable, si et seulement si « c’est le chemin le plus court vers un emploi » (« het kortste weg naar een job »), un slogan que les facilitateurs ne se lasseront pas de répéter.

Il ne faudrait pourtant pas croire qu’au VDAB on ne parle que de travail « noir ». Non, il y a aussi le « travail sale », celui que l’on peut refuser. Exemples donnés au cours de ce passionnant séminaire: maquiller des cadavres, inséminer des porcs (soi-même ?), travailler dans un abattoir. Sara propose: du travail discriminatoire, raciste ou sexiste, ou dans une entreprise qui a des activités douteuses, ou qui ne respecterait pas ses convictions. Du coup, la voilà étiquetée « romantique, idéaliste… et naïve ». Demander que le monde de l’entreprise respecte la loi relève donc aujourd’hui de l’idéalisme, pour le VDAB du moins.

C’est bien beau d’être jeune, les cheveux au vent et des rêves plein la tête, mais il faut savoir garder les pieds sur terre. Au VDAB, on vous offre le luxe de trouver le « travail idéal » pendant six mois, après quoi, il faut revoir ses exigences à la baisse et être « réaliste ». On n’est pas le Père Noël, que diable [4]. Dans le même ordre d’idées, la durée maximale d’un déplacement vers le lieu de travail jugée acceptable est de deux heures par trajet. De quoi vous balader n’importe où en Belgique, en somme.

La semaine suivante, Sara reçoit un message de Vedior Intérim, qui a obtenu ses coordonnées du VDAB, celui-ci déléguant une partie des accompagnements à des structures telles que des agences d’intérim. On lui proposer de travailler comme « hôtesse » au salon de l’auto, un job pour lequel ses deux diplômes universitaires ne seront sûrement pas de trop. Croyez-le ou non, mais elle a refusé.
Poliment.

Témoignage recueilli par Vinz Otesanek

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