En théorie, le don est un contrat unilatéral dans la mesure où il ne crée d’engagement que dans le chef d’une partie, le donateur. Le sponsoring est un contrat synallagmatique2 parfait dans la mesure où il crée dès le départ des engagements dans le chef des deux parties contractantes. Le mécénat est quant à lui un contrat synallagmatique imparfait dans la mesure où il est conçu au départ pour ne faire naître d’engagements que dans le chef d’une seule partie (le mécène), mais il se peut que par la suite naissent des engagements dans le chef de l’autre partie. En pratique, comme l´explique Chantal Pirlot, administrateur déléguée de Prométhéa3, “la différence entre mécénat et sponsoring tient dans la notion de risque et l´importance des retours. L´apport financier d´une société pour un concert de Pavarotti relève du sponsoring car il n´y a pas de prise de risque et un retour financier garanti important. Par contre, si cette même société apporte son aide à un jeune musicien, nous sommes dans le mécénat car la notion de risque est forte et il peut n´y avoir aucun retour si ce jeune artiste ne perce pas (…) »
Si la terminologie est à ce point importante, c´est qu´elle est le nœud du problème au niveau étatique.
Les trois principaux partis, MR, CDH et PS ont déposé une proposition de loi au sénat concernant le mécénat d´entreprise. A l´heure actuelle, la loi régissant ce domaine tient en une ligne, et stipule juste qu´il y a une déduction du résultat imposable dans la limite de 5 % du bénéfice net, sans pouvoir dépasser 500 000 €. Ces propositions passent à la Commission FINECO du Sénat ce mercredi 18 avril.
Pour le MR, Monsieur Roelandt du Vivier, Madame Defraigne et Monsieur Noreilde souhaitent faire entrer la notion de dépense de mécénat dans le cadre de la notion de frais professionnels, permettre l´amortissement4 des œuvres d´art, la déductibilité des dons d´œuvres d´art pour les sociétés, augmenter les plafonds de déductibilité pour les libéralités5 faites par les entreprises et permettre le report des sommes excédant le plafond prévu. En somme, la notion de mécénat n´existe plus et devient l´égale du sponsoring. Comme pour le parrainage, le mécénat passe comme une série de frais professionnels. Cette proposition de loi vise seulement la culture.
Pour le CDH, le sénateur Christian Brotcorne a lui copié, presqu’à la virgule près, la loi française relative au mécénat, aux associations et aux fondations votée le 1er août 2003. Cette proposition améliore le régime fiscal du mécénat et le statut des fondations. Les sociétés pourraient déduire les libéralités qu’elles ont consenties à des établissements ou organismes divers, pourvu que ceux-ci soient reconnus par un arrêté royal. Cette loi s´appliquerait au domaine culturel mais aussi à l´aide à la jeunesse, aux asbl…
Pour le PS, la sénatrice Olga Zrihen adapte la loi actuelle, faisant passer une déduction du résultat imposable dans la limite de 5 % à 10% du bénéfice net avec un montant maximal de 1.000.000 euros. La déductibilité s’appliquerait à tous les types de libéralités, et non plus seulement aux libéralités faites en argent. De même, la sénatrice propose de prévoir un retour sur image des entreprises limité à 25%. Si le retour est supérieur, ce n´est plus du mécénat mais du sponsoring.
Trois lois et un imbroglio kafkaïen. A la question «pourquoi la Belgique est-elle le dernier pays en Europe à ne pas avoir de cadre législatif pour le mécénat ?», les réponses fusent. Selon le CDH6 et le PS7, des problèmes d´ordre idéologique bloquaient la situation. En Belgique, la politique culturelle s’est toujours caractérisée par le rôle essentiel exercé par l’état. Il s’agit d’un héritage de la poussée des idées démocratiques suite à la révolution française. C´est essentiellement pour des raisons budgétaires que l´état s´est tardivement décidé à utiliser des moyens alternatifs tels le mécénat. Du côté du MR, la faute reviendrait au PS; selon eux, « ce parti ne voulait aucune modification notoire car pour
eux la Belgique représente aux yeux du monde le meilleur système social existant et il doit rester immuable… » (sic).
L´état belge serait-il plus frileux que nos voisins français ou espagnols? En effet, rien qu´en France, depuis la promulgation de la loi de 2003, 144 fondations d’entreprise ont été créées et plus d´un milliard d’euros ont été investis dans les entreprises-mécènes8.
Selon Chantal Pirlot, qui travaille dans le domaine du mécénat depuis 22 ans, « le mécénat en Belgique ne se porte pas si mal. La faute n´est à incomber à personne. En réalité, ni les partis politiques ni les entreprises n´ont créé de lobbyings assez puissants pour faire avancer la situation. En France, la pression des sociétés était nettement plus forte mais pour des raisons budgétaires les politiciens belges sont en train de faire du mécénat une de leurs priorités ». Autre son de cloche du côté de la Fortis Fondation Belgium. « Il est paradoxal, » explique Amélie D´Oultremont, General Manager de la Fortis Fondation Belgium, « qu´en Belgique, le sponsoring qui est avant tout intéressé soit déductible pour les entreprises alors que le mécénat et les dons ne le soient pas. On arrive à une situation malsaine et confuse ». Elle poursuit en stipulant que « les approches du monde financier et des politiciens ne sont pas concurrentes, elles sont complémentaires (…) Cependant, l’inertie politique coûte cher à la solidarité et à la culture ».
Une éclaircie: plusieurs points d´ententes. Les politiciens, toutes tendances confondues, désirent s´ouvrir au monde du privé le plus rapidement possible. Les entreprises, elles, attendent aussi ce cadre législatif. Ainsi, selon une étude Ipsos réalisée à la demande de la Fondation Fortis, sept responsables d’entreprises sur dix considèrent qu’un encouragement fiscal plus favorable inciterait plus d’entreprises à investir dans le mécénat.9
Est-ce cette semaine que la loi sera promulguée au sénat? Ou, comme on le sous-entend, aucune de ces propositions ne sera-t-elle légiférée sous cette législature et dépendra des résultats des élections fédérales du mois de juin prochain ? à suivre…
Sur base des éléments recueillis par le Comité européen pour le rapprochement de l’économie et de la culture (CEREC), on constate que les entreprises consacrent en mécénat culturel 255 millions d’euros en Allemagne, 35,84 millions d’euros en Autriche, entre 44,4 et 54,3 millions d’euros en Flandre, 59,7 millions d’euros en Espagne, 183 millions d’euros en France, 205,7 millions d’euros en Italie, entre 28,2 et 37,7 millions d’euros aux Pays-Bas, 226,08 millions d’euros au Royaume-Uni et 24,04 millions d’euros en Suède. Aucune donnée n’existe en ce qui concerne la Communauté française.