Hugo Freegow est dj et organisateur de soirées seul ou en bande (Mukisolor[2], Torpedo[3]…). Il est aussi l’un des membres de l’asbl Panoptic [4] qui organise chaque année, dans la salle des fêtes de Droixhe le fabuleux festival Panoptica[5]. Il est aussi animateur de l’émission Eclectik Sound System [6]. « Panoptic, c’est la culture de la fête, des fêtes, des cultures, des cultures des fêtes, des fêtes culturelles », Hugo a doc des choses à raconter.
C4 : Est-ce que vous croyez en cette crise du public dans les lieux de fêtes à Liège? Si oui,comment l’expliquez-vous ?
Hugo Freegow : Aujourd’hui, on assiste a une dé-multiplication de l’offre. L’éventail des propositions culturelles est en train de s’élargir et les acteurs se multiplient. Mais, démographiquement, le public n’ a pas doublé, et les moyens des gens non plus!
Là où on avait deux pôles pour une soirée du week-end, on en a aujourd’hui six ou sept où le public se répartit. Ca coûte toujours le même prix qu’avant pour organiser, mais il y a moins de public parce qu’il est plus éclaté…
Certains peuvent s’appuyer sur des aides extérieures, qu’il s’agisse de sponsors ou de subsides. Ils survivent mais gagnent probablement moins d’argent qu’avant, et ils se plaignent aussi de la situation un peu chaotique. Les autres, ceux qui se lancent dans des projets de manière purement autonome, peuvent perdre 3000€ ou 4000€ sur une série de soirées! Alors ils retournent bosser à l’usine, en intérim ou dans un call center pour payer les dettes. Parce que c’est leur poche qui est percée évidemment…
C4 : Vous vous posez des questions sur la logique de subvention?
HF- Difficile de ne pas se poser la question de la répartition des fonds! C’est vrai qu’on n’introduit pas de dossiers, mais on sait que le systeme de distribution est largement politisé. La Province fait plutôt bien son boulot de soutien à la culture locale et a pour politique de donner un peu à tout le monde. Mais je crois qu’il faudrait vraiment avoir un débat de fond sur cette question des subventions et que chacun puisse partager son point de vue sur l’écologie culturelle avec les différents acteurs du milieu et en présence des politiques. Mais je ne sais pas s’il y a une réelle volonté de concertation : chacun avance avec ses propres objectifs…
Aujourd’hui, il y a un grand spectre avec d’un côté une culture d’hyper-pointe, et de l’autre l’hyper-populaire. Tu auras du blé pour un truc d’électro-accoustique organisé pour vingt personnes, ou si tu proposes un gros événement pour un public large. C’est sur ces deux extrémités-là qu’on travaille, et que ce qui existe entre les deux, là où un véritable esprit de création est à l’œuvre et où de nouvelles formes culturelles émergent, est complètement oublié…
Il ne faut pas croire ce qu’on dit sur PureFM chaque fois qu’on vous présente une « nouvelle révélation du rock belge » ! Si des mecs du coin émergent un peu sur le marché de la musique, tant mieux pour eux. Mais, qu’est-ce qu’ils ont de plus? Ils ont l’attitude qu’il faut, des belles gueules et ils savent gèrer leurs shows. C’est le spectacle idéal pour le schéma classique des concerts où tu vas pour voir des gens : personne ne trouve ça spécialement bon ni mauvais non plus. C’est pas la question. Mais c’est là que tu comprends que des organisateurs engagent souvent des groupes parce qu’on les entend à la radio, qu’ils savent qu’il y aura du monde et que les gens viendront parce qu’ils savent aussi qu’il y aura du monde…
C’est la même logique avec Indochine aux «Ardentes»[1], qui incarne parfaitement la volonté de faire un gros événement « populaire » à Liège. C’est le même concept que Europe sur l’esplanade St-Léonard: on sait qu’ils ont fait un tube mondial et tout le monde vient pour ça. Alors « je (la FGTB) fais venir Europe ». Ce qui compte, c’est pas la performance : tout le monde a trouvé ça merdique!! J’ai l’impression qu’en investissant
exclusivement sur cette logique-là, on passe à côté de quelque chose…
C4 : Vous n’avez pas peur de vous faire traiter de snobinard prétentieux ?
HF: Si j’ai une prétention, c’est d’être, avec mes moyens, un petit foyer d’invention et de création. Je n’ai pas envie d’aider à lisser tout pour que ça rentre dans le profil de l’offre et de la demande. La création artistique est un processus important, c’est une anticipation, c’est intuitif. Je suis convaincu qu’on peut avoir un impact sur la conscience des gens en fonction de ce qu’on propose. J’essaie juste d’occuper une faille spacio-temporelle dans un débit de boissons, avec de la musique. On arrive avec des musiques un peu différentes de ce qui se fait mais aussi avec une manière de les assembler différemment, et je crois qu’on projette des images différentes dans la tête des gens. Je n’ai pas la prétention d’être un rebelle, mais le paysage de la musique se rétrécit de plus en plus autour de la dimension commerciale. Et par rapport à ça, j’ai envie de montrer que d’autres choses sont possibles, simplement en continuant de faire ce que je fais.
C4 : Vos soirées sont sans sponsors ni logos ?
HF: C’est ambigu. Si tu n’as pas le pognon pour faire ton petit truc, pourquoi tu n’accepterais pas de mettre un petit logo sur tes affiches et une banderole derrière ta scène pour un peu de blé ? Je n’ai pas de leçons a donner à ceux qui font ce choix-là…
Pour moi, si on met des hologrammes publicitaires entre les gens et ce qu’on propose, ça devient des filtres! Ça peut dénaturer la relation entre toi, le spectateur, sa conscience et l’objet que tu proposes. Les messages publicitaires limitent l’ouverture du champ de la conscience, j’en suis persuadé. C’est du parasitage : au moment où tu pourrais sentir quelque chose, avoir certains types de pensées dans un état de conscience libre, boum, tu tombes sur de la pub…
C4 : Est-ce que vous croyez en l’avenir du secteur de la fête comme source massive d’emplois?
HF : Aujourd’hui, même les « stars » de la scène locale ne roulent pas sur l’or. En Communauté Française et à Liège, on vient avec ce discours de la promotion de la scène locale, mais si tu ne paies pas les gens qui bossent là-dedans, qu’est-ce que tu es en train de raconter ? Pour qu’on vive de la musique, à Liège, il faudrait créer de l’emploi. Est-ce que les pouvoirs publics sont bien sûrs qu’ils créent de l’emploi avec toutes leurs interventions ? Moi les emplois, je ne vois pas bien où ils sont. Il y a les techniciens, la sécurité, les gens qui bossent derrière le bar, et les agences de pub ou de com avec des hôtesses en intérim. Et quatre ou cinq groupes de musique qui, en devenant des stars, réussiront à jouer en dehors de la Belgique.
C4 : Vous aimeriez être salarié pour organiser des soirées?
HF: Moi, je suis touché par une énergie et j’ai envie de la (re-)transmettre. Je n’ai pas envie de devoir me demander ce que les gens veulent entendre. Etre salarié ailleurs, ça me laisse cette liberté. Celle de ne pas tomber dans le genre « pro de la pub » qui se dit : « j’ai un truc à vendre, comment je fais ? » Et pour qui la question c’est « qu’est-ce qui se passe de bien aujourd’hui et qui en plus attire les gens? ».
Le problème, c’est qu’en musique, il y a eu comme un revirement. Il y avait avant une palette de nuances qui n’existent plus. Le premier vendeur de disques le dira : il y a dix ans, il y avait encore un rayon musiques indépendantes. Ça n’a plus aucun sens aujourd’hui : le label indie existe toujours mais les groupes indépendants au sens où on l’entendait il y a dix ans, ça n’existe plus. On estampille des trucs indie mais c’est parce que ça fait vendre. On est passé dans un monde où on a crée de l’indie pour des rayons de supermarché ! Et je suis content de ne pas avoir pour job d’approvisionner ces rayons-là !
Damie Boy alias DJ Motocross [7]. Panoptic, Eclectik Sound System, Torpedo, Mukisolor: dans le civil, il
fait souvent joujou avec Hugo Freegow. Il est aussi le généralissime de l’Armée des Bonbons [8], « une communauté hippie déviante basée sur le modèle dictatorial ». Nous avons jugé important de lui demander son avis sur ce qu’il était en train de se passer à Liège.
C4 : Est-ce que pour vous, la crise du public qui traverserait les lieux où on peut organiser des fêtes à Liège est une réalité ?
Dj Motocross : Oui, mais en même temps du public, il y en a. Et il y a aussi un problème, c’est que beaucoup de gens voient grand, et Liège reste une petite ville. Même chez les autorités communales, il y a une tendance à affirmer Liège un peu au-dessus de ses moyens. Par exemple, le marché de Noël est pensé comme un événement Eurégio! Et nous à notre niveau, on a eu un peu la même tendance…
Mais du public, il y en a : il y a des soirées « Legends » au Palais des Congrès avec Tom Barman et un gars de Prodigy qui font 3000 personnes. Parfois il y a des soirées art-techno ou break-core aux Caves de Cornillon. On ne verra jamais le moindre flyer circuler, tout passe par internet et c’est plein ! Le lundi, ils ont encore largement de quoi payer le menuisier qui vient pour les réparations, parce que ce sont des soirées défonce. Il y en a qui font des « cartons » mais c’est autre chose aussi…
Le 9 février, il y avait trois « grosses » soirées en même temps : le bal populaire à la caserne Fonck (des gens tout azimut), une soirée acid à l’espace Roture (les deux étages ouverts et c’était blindé) et enfin, la soirée de Alain Plastic à la Zone (et ça a été un succès aussi). Trois soirées parfaitements calculées du point de vue des réseaux, qui étaient complètement différentes. Et c’était le début du mois aussi…
C4 : Est-ce que c’est une situation récente ?
Dj M. : Récemment, il y a trois ou quatre ans, il y avait plein de petites soirées qui marchaient bien, puis de temps en temps, un gros événement. En ce qui concerne le Clubbing proprement dit, il n’y a plus de soirée house à Liège. Beaucoup de gens aimaient bien les soirées house à Liège, au Phoenix par exemple, et maintenant, il n’y en a plus. Ça manque un peu parce que ça restait de bons endroits où toucher des gens pour l’organisateur un peu alternatif, ou tout simplement pour qui avait envie de voir des gens…
Ce qui existe maintenant, et qu’on a tendance à négliger, c’est le Millénium[9]. Il y a toujours eu des dancings loin du centre (le Real ou le Brazil) mais avec le Millénium, il y a comme un plus. Je suis convaincu qu’il y a des gens qui s’emmerdent et qui vont au Millénium, même si nous, on est encore loin de là. À mon avis, ce ne sont pas des gens qui habitent en ville et qui sont au courant de ce qui se passe, ce sont ceux de la périphérie qui venaient à Liège. Là il y a une métamorphose, qui existe dans le commerce et dans le cinéma aussi, et il faut faire avec.
C4 : Le centre ville pour les soirées n’aurait plus beaucoup d’avenir ?
Dj M. : À Liège, au centre, il n’y a qu’un endroit comme la Soundstation. Ce qu’on attend, c’est un endroit officiel, géré par la Ville avec un budget, un endroit comme le Botanique avec une programmation. Tout repose sur des indépendants qu’on subsidie plus ou moins sans trop savoir ce qu’ils foutent. Je trouve que c’e n’est pas une politique suffisante. Il faudrait un lieu qui serait subventionné, avec une vraie programmation et où on serait capable de payer les artistes même si il n’y a que cent spectateurs. Beaucoup critiquent ce genre d’infrastructures, mais moi je trouve que ça a vraiment lieu d’être, à Liège, c’est un manque de pas avoir un lieu comme ça.
Prenons Panoptica[5]: pour vivre, on a besoin des gens du clubbing. Il y a un problème d’espace à Liège, ce genre de soirée ne peut se faire qu’à Droixhe et si on met 400 personnes dans cette salle, ça ne va pas. Il faut être attentif à la programmation en fonction du public, et donc ne pas forcément programmer que ce qu’il aime. C’est un peu dur parce qu’on se retrouve
à répondre à un besoin dans la vie culturelle de la ville. C’est vraiment devenu l’événement clubbing un peu différent de l’année, et en même temps, la Ville n’offre rien par rapport à ça!
Si par exemple, ils se décidaient à rénover la caserne Fonck et à faire sur le côté une salle de concert, ça pourrait bien fonctionner. Avec une infrastructure publique, des gens sensibles à la musique et capables de programmer des concerts de toutes sortes et des moyens techniques mis à disposition. On pourrait imaginer refaire des trucs comme Mukisolor[2]. Je ne parle pas d’avoir plein d’argent mais d’avoir au moins les moyens techniques pour ne pas devoir se trimballer partout avec voiture et remorque pour chercher la sono la moins chère.
C4 : Avez-vous confiance dans les pouvoirs publics, les sentez-vous capables de gérer une structure de ce genre et d’avoir une programmation intéressante?
Dj M. : Peu importe. Dans les autres villes, ils le font bien, même si il y a des critiques à faire. Aujourd’hui, les pouvoirs publics préfèrent investir dans des événements, mais ce dont je parle moi, c’est d’une salle de concert. Où il y aurait quatre ou cinq concerts par semaine , petits ou grands. Avec des régisseurs et du matos. Ça créerait aussi de l’emploi : il faudrait des régisseurs et au moins un programmateur, à l’écoute de choses différentes, mais avoir l’illusion que tout le monde y aurait sa place.
C4 : Vous postuleriez pour un emploi dans une structure telle que celle dont vous venez de parler ?
Dj M. : Si la Ville me payait pour organiser des concerts, je crois que je ferais la part des choses et que je le ferais au mieux avec mes compétences. Mes goûts seraient représentés, mais pas uniquement. Je ferais les choses différement que ce que je fais maintenant, c’est sûr. En tout cas, je resterais positif, j’essaierais toujours de comprendre ce que je peux faire à partir de là où je travaille.
C4 : Comment vivez-vous les contraintes économiques qui pèsent sur votre activité?
Dj M. : Je ne veux pas être défaitiste, ça sert à rien. J’ai appris comment le public réagit et aussi comment faire des économies et réduire les coûts, parce qu’il y a encore moins de deux ans, on pouvait organiser une soirée qui était un gros succès avec plein de monde… et à la fin, on ne gagnait rien parce qu’on avait trop dépensé!
Pour moi, maintenant, la bonne combinaison, c’est deux concerts avec un truc plus avant-gardiste en première partie, puis un truc un peu plus populaire en seconde partie, et on combine ça avec des DJs bien choisis. Sinon, tu es dans la logique du festival.
C4 : Le but c’est de faire les choses pour qu’elles soient viables?
Dj M. : Mettre un minimum d’argent dans la caisse, arriver à payer les Djs et les groupes. Ce qui pourrait être bon pour Liège, ce serait de ne pas s’inquiéter de ne plus pouvoir inviter des « stars » comme Felix Kubin ou Kevin Blackdom et de se tourner vers des groupes plus jeunes et moins connus. Dans nos réseaux, ce n’est pas le show biz, on ne devient pas une « star » du jour au lendemain. Il faut laisser traîner ses oreilles dans les magasins de disques, être attentif et essayer de trouver des gens comme Mash Gordon qui en sont à leur 2ème album. Il y a moyen que ça ne passe pas du tout inaperçu dans une ville comme Liège et que ça donne lieu à une soirée très réussie. Puis pour un concert de Felix Kubin, t’as qu’à faire 100 ou 200km…