L’effet magique du mot terrorisme

Download PDF

Cette loi antiterroriste répond-t-elle à un vide juridique en Belgique ?

Mathieu Beys : Non, il existe déjà un arsenal juridique qui permet de punir sévèrement ceux qui commettent de près ou de loin des actes terroristes, notamment par les concepts d' »association de malfaiteurs » et d’ »organisation criminelle ». Mais cette loi prouve la volonté de ratisser plus large, par la définition extensive qu’elle donne du terrorisme. Par exemple, la simple menace de commettre une infraction terroriste est punissable de 5 à 10 ans de prison selon l’art. 137 §2, 6° du code pénal.

Et en quoi cette loi pose-t-elle problème ?

Thomas Mitevoy : Cette définition du terrorisme pose des problèmes juridiques importants sur deux niveaux : d’une part de nombreux concepts sont particulièrement flous et sujets à des interprétations très différentes, d’autre part, il s’agit d’une définition très complexe qui vise de multiples hypothèses. Si je commets un acte, il est impossible de prévoir, en lisant la loi, s’il sera considéré comme terroriste ou non car cela dépendra entièrement de la subjectivité du juge (de ses idées politiques par exemple…).

M.B. : La loi prévoit l’application de méthodes attentatoires à la vie privée et aux libertés individuelles qui sont en principe prévues pour être appliquées pour des faits graves. Il est normal de faire des écoutes téléphoniques afin de débusquer une tentative d’attentat. Mais pour des tags ou des coups donnés à un policier dans une manifestation, ce n’est plus du tout justifiable. Or, la loi le permet car ces actes peuvent être considérés comme terroristes.

Les magistrats sont présentés comme les garde-fous car ils dirigent les enquêtes. Pour les enquêtes proactives ainsi que pour les méthodes particulières de recherche, le juge d’instruction est quasiment mis à l’écart. Or c’est le « juge des libertés », qui doit enquêter à charge et à décharge. Ici, c’est le parquet qui est censé veiller au contrôle de la loyauté et à la régularité de ces méthodes d’enquête (infiltrations, observations …) mais il est juge et partie puisqu’il représente l’accusation. De plus, sur le terrain, ce sont les policiers qui mènent l’enquête, et les possibilités de contrôle sont très limitées.

La loi n’offre-t-elle pas des garanties suffisantes en excluant de la définition de groupes terroristes les organisations ayant des buts légitimes ?

M.B. : Il est évident que si des organisations syndicales, religieuses … ne commettent pas de délits, elles ne peuvent être considérées comme terroristes. Mais à partir du moment où l’une des personnes du groupe commet un délit, alors tout le groupe pourra être inquiété. Il est aussi dit que cette loi ne va pas à l’encontre des libertés individuelles comme le droit de grève, mais cela n’offre aucune garantie car rien n’empêche que des délits commis par exemple à l’occasion d’une grève soient considérés comme terroristes. A contrario, les faits commis par les Etats sont exclus d’office de l’application de cette nouvelle loi. L’armée ne peut être inquiétée, ce qui veut dire que des militaires belges qui commettraient des massacres ne seraient pas poursuivis.

Peut-on dès lors craindre des dérives ?

M.B. : Dénoncer cette nouvelle loi, ce n’est pas de la paranoïa. Des dérives ont déjà été constatées avec la loi de 1999 sur les organisations criminelles. Un cas exemplaire est celui de personnes poursuivies en 2001 à Liège sur base d’affiches pour la manifestation organisée par D14 contre le sommet européen de la fin de présidence belge. Au final, rien n’a été trouvé de délictueux et un non-lieu a été prononcé par la Chambre du Conseil de Liège. Néanmoins, durant plusieurs mois, tout le contenu de leurs appels, de leurs SMS et de leurs mails ainsi que leurs contacts ont été espionnés et se retrouvent dans le dossier.

Il est intéressant de voir comment des actes, tels que la pose de micros dans un domicile et les infiltrations, considérés comme inadmissibles il y a
10 ou 20 ans sont légalisés aujourd’hui. C’est l’effet du mot magique « terrorisme » : tout est permis pour lutter contre ce fléau. Si tu critiques les dérapages, tu seras accusé de faire le jeu des terroristes.

T.M. : Les jeunes de certaines banlieues françaises qui brûlent des voitures pourraient être considérés comme intimidant une population et entraînant des pertes économiques considérables. Ces actes sont-ils pour autant des actes terroristes ? De même dans le cas de conflits sociaux, comme celui de Clabecq, il y a parfois eu de la casse et des violences contre des policiers dans une manif. Aujourd’hui, un juge pourrait considérer ceci comme du terrorisme, vu le contexte, la grave atteinte portée à l’Etat belge et l’intention de contraindre les pouvoirs publics (à éviter une faillite par exemple).

Nos parlementaires justifient cette loi comme l’adoption d’une décision européenne. Qu’en est-il ?

T.M. : Il existe une obligation formelle d’appliquer la décision-cadre du Conseil européenne du 13 juin 2002 mais il n’existe aucune sanction en cas de non-application. La Belgique va plus loin que la simple exécution de cette décision-cadre : elle a permis l’utilisation des mesures particulières de recherche.

M.B. : Plus généralement, on prétend toujours que l’Europe a une vision plus respectueuse des droits de l’homme que les Etats-Unis. L’observation des mesures concrètes adoptées au niveau de l’Union européenne montre qu’on s’aligne pourtant progressivement sur les Etats-Unis. Par exemple, Europol, regroupant les services de polices des quinze, a le pouvoir propre de conclure des accords avec d’autres pays et notamment de transmettre des informations. En principe, le pays doit dire pourquoi il demande ces infos et ne peut les utiliser que dans ce but. Les Etats-Unis ont exigé de supprimer cette garantie, ce qu’Europol a accepté. Ils peuvent donc faire ce qu’ils veulent avec les informations transmises par les pays européens : contrôle des passagers, accès au territoire, mais aussi éventuellement des poursuites judiciaires. Une personne pourra donc être condamnée à la peine de mort aux Etats-Unis, sur base de dossiers fournis par des pays européens.

T.M. : Aux Etats-Unis, des mesures d’exception qui ont été votées sont limitées dans le temps. A l’issue du délai prévu initialement, elles font l’objet d’un débat au Congrès. Ici, les lois sont votées et prévues à long terme, sans aucune échéance.

Aucun commentaire jusqu'à présent.

Laisser un commentaire

Votre adresse e-mail ne sera pas publiée. Les champs obligatoires sont indiqués avec *

Ce site utilise Akismet pour réduire les indésirables. En savoir plus sur comment les données de vos commentaires sont utilisées.

Archives

Catégories

Auteurs