«Copains, copines, sorcières, rebelles, activistes, rêveureuses, travailleureuses, guériller@s des villes, chômeureuses fraudeureuses, stratèges de salon, handicapé-es, écrivain-e-s, cyborgs, camarades, sœurs folles….
Montez, installez-vous, mettez-vous à l’aise ; il y a des coins, de l’ombre, assez de lumière, du temps pour tous. Vous prendrez bien quelque chose à boire ?
Nous voulons faire des choses avec vous. Enfin, laissez-nous nous expliquer. C’est vrai, on sait pas grand chose de nous. Ni de vous d’ailleurs. Parfois, on ne parle même pas la même langue. On peut dire que nos origines sont erratiques. On est là depuis toujours. On s’est sûrement déjà vus. De nous, nous ne savons que ce que nous fuyons : la monoculture commerciale, la standardisation des affects et des désirs, le « business as usual », l’état permanent de guerre globale. De nous, nous ne savons que ce que nous cultivons : l’autonomie, l’autogestion, l’autoformation, l’autodéfense et l’autodérision. De nous, nous ne savons que ce que nous désirons : la liberté de circulation de nos corps et de nos émotions, la liberté d’accès aux espaces, aux informations et aux moyens de communication, la liberté dans la création de nos désirs et de nos envies. Et on voudrait savoir si vous aussi vous fuyez, cultivez et désirez de telles choses. »
Un peu d’histoire
Les quilombos étaient des refuges d’esclaves en fuite, constitués en communautés rurales au Brésil. Ces esclaves fuyaient les plantations de sucre et la société esclavagiste du xviie siècle. Lieux de résistance aux structures de l’oppression coloniale, autonomes et inexpugnables, noirs, métis, indien-ne-s et blanc-he-s (juiv-f-es et musulman-ne-s qui refusaient de se convertir au catholicisme) s’y sont organisés jusqu’à fonder la république libre de Palmarès, qui résistera durant plus d’un siècle aux Portugais. La république de Palmarès sera la seule à cultiver en pluriculture dans un environnement de monoculture de sucre. Elle organisera des guérillas de libération d’esclaves, qui survivaient rarement plus de cinq ans sur les terres brésiliennes. Chacun ne devenait libre que lorsqu’il avait lui-même libéré un autre esclave. La traite des esclaves va dessiner le paysage mondial avant la révolution industrielle et en permettre l’avènement, en créant les guerres internes en Afrique pour constituer un lot d’esclaves, en développant la marine anglaise et ses ports industriels et en instituant des économies dépendantes dans les pays nouvellement colonisés, fournisseurs de sucre.
Décoloniser l’imaginaire
A l’heure de la conquête spatiale, de nouveaux territoires s’offrent aux puissances impériales sans qu’aucune proposition antagoniste ne vienne s’interposer. L’un des axes essentiels du projet « Quilombo » est de ne pas laisser ravager ces espaces et imposer les sempiternels modèles. Leur objectif ? Construire ensemble le quilombo de l’hyper-espace. Pour l’atteindre, ils proposent d’expérimenter pendant plusieurs jours à Bruxelles, Gand et Liège, la station Quilombo, un espace libéré destiné à partager des savoirs théorico-pratiques, des savoir-faire, des expériences de résistance, et un laboratoire ouvert de décolonisation de l’imaginaire. »
Pour qui ?
La station Quilombo accueille des groupes d’action, des organisations et des initiatives culturelles de toute la Belgique (Wallonie, Flandre et Bruxelles) qui ont en commun d’imaginer d’autres mondes et de construire de nouvelles réalités au travers de réseaux de solidarité, de projets alternatifs, d’actions, de rencontres et de discussions, de publications, de pratiques artistiques, etc.
« A celles et ceux qui errent dans le no man’s land de la frontière linguistique, à celles et ceux qui travaillent les parcours hybrides plutôt que les identités bien définies, cette rencontre de groupes francophones et néerlandophones devrait permettre d’échanger des points de vue, des visions de la réalité, des dynamiques propres, trop longtemps restées à l’écart les unes
des autres alors que ces luttes font face à une réalité politique semblable dénommée Belgique. »
Pour les acteurs du projet, il est important de ne pas travailler uniquement entre eux, mais de rendre publiques et ouvertes ces journées en invitant largement. Il s’agit de brasser différents milieux et de briser les monopoles des savoirs. L’objectif est d’inscrire le Quilombo dans les quartiers où il prend place et d’inviter les habitants à participer à la dynamique. Et le tout en deux langues…
Pourquoi ?
L’histoire des colonisations hante les mémoires. Nous la portons en nous mais elle reste tabou. Le sens de ce projet est d’investir le concept de colonisation, de comprendre en quoi des processus de colonisation sont toujours à l’œuvre actuellement, comment ils fonctionnent, quels sont les nouveaux territoires qu’ils s’approprient, qu’est-ce que l’Histoire, et en particulier l’Histoire des luttes de décolonisation, peuvent nous apprendre pour inventer de nouveaux espaces de liberté, pour réinventer le Quilombo.
Le pouvoir colonial
La colonisation des esprits, la conquête des imaginaires par une norme soi-disant majoritaire, devient un enjeu primordial. Cette norme permet de distinguer le normal du déviant, l’humain du « moins humain ». Le pouvoir colonial est celui qui, à partir d’un critère de race ou de genre, nie l’humanité de l’autre, sa complexité, le réduit à un seul caractère puis l’assigne à un rôle social.
Le bombardement constant des médias, avec leurs idéaux publicitaires et leurs rêves aseptisés, formatent les cerveaux collectifs. De l’idée de Bonheur se fige une définition qui porte en elle les sentiments de tristesse et de malheur pour tous ceux qui ne correspondent pas au modèle. « Nous ne sommes alors plus que des « chômeureuses fraudeureuses », des « squatteureuses marginales et marginaux », des « marocain-ne-s de seconde génération non intégré-e-s », des « femmes voilées à l’émancipation inachevée », des « handicapé-e-s », des « ouvrier-e-s déclassé-e-s », des « délinquant-s allochtones », des « artistes paresseu-se-x », des « mauvais payeur-e-s », des « grévistes preneureuses d’otages », des « femmes âgées insécurisées », des « grévistes de la faim illégitimes »… »
Pour tous ceux qui s’attellent depuis plusieurs mois à ce projet, ces dénominations risquent de devenir notre devenir, notre regard sur nous-mêmes et sur l’autre, notre prison. Les discours « sur » – sur l’exclusion, l’émancipation, l’utopie… – deviendraient ainsi les discours par rapport auxquels nous existerions. La représentation spectaculaire de nos vies deviendrait plus réaliste que ce qui nous arrive vraiment. La colonisation, selon eux, est l’incarnation, dans l’être, de l’oppression économique, sociale et culturelle.
Face à cela, le Quilombo désire renverser les stigmates et affirmer la complexité du réel et des situations. Il veut reconnaître la multiplicité des identités et des cultures, irréductibles les unes aux autres, et défendre leur métissage, comme producteur d’imprévisible et d’irrépressible.
Le Quilombo veut s’approprier son histoire et la créer chaque jour. Pour tous ceux qui ont envie de faire leurs bagages, pour tous ceux qui ont envie de les ouvrir.