Le politique est comptant
Non, la future gare des Guillemins, dont la mise en exploitation est prévue pour la fin 2005, n’est pas une réalisation irrationnelle. C’est l’avis du monde politique liégeois qui, chiffres à l’appui, veut convaincre les dernières mines dubitatives, et refuse toute allégation de mégalomanie.
Du pour et du contre
Certes le projet est ambitieux. Coupler la construction d’une nouvelle infrastructure à grande vitesse avec la modernisation du réseau intérieur, le tout accompagné par l’édification d’un ouvrage d’art, ne se réalise pas sans faire poindre critique et méfiance de toutes sortes. « Trop grand », « trop cher », « inadapté » : les sceptiques sont nombreux, habitués il est vrai aux reports de projets ingérables et aux effets d’annonce.
Divers arguments plaident cependant en faveur de la future gare. Le bâtiment, œuvre de l’architecte Santiago Calatrava, n’est pas seulement destiné à l’arrêt de TGV dans la Cité Ardente. Il se justifie aussi par la modernisation et la totale réorganisation de la circulation ferroviaire. Le site n’est pas des plus simples : flux de voies ferrées s’intercroisant, inclinaison de la côte d’Ans par le Réseau Express Régional (RER) appelé à se développer dans le cadre de l’Eurégio, ou encore la connexion directe des voies de chemin de fer avec l’ensemble des transports en commun liégeois et le réseau autoroutier.
Emportant l’adhésion générale d’un point de vue artistique, l’infrastructure est également vouée à devenir un élément architectural à haute valeur touristique.
La questions des coûts
Sur l’épineuse question des coûts générés, quelques précisions : d’une part, le financement est pris en charge par la SNCB qui a recours à l’emprunt, et par l’état fédéral qui intervient par le biais d’une participation au sein d’une société mixte- secteurs public et privé -, la « Financière TGV ». La Ville de Liège n’a donc pas eu à débourser un euro.
D’autre part, les budgets alloués pour Liège, d’un montant proche des 322 millions d’euros (211 millions pour la gare, et 110 pour les infrastructures ferroviaires) apparaissent « raisonnables » en regard de ceux octroyés aux gares d’Anvers (environ 655 millions d’euros), ou même de Leuven (688 millions).
Le total des crédits affectés pour l’ensemble des travaux à Liège correspond à peu près à la somme allouée pour le seul bâtiment de la gare d’Anvers.
Une opportunité
Certaines confusions viennent aussi entacher le dossier, le frappant d’inutilité ou de démesure. Par exemple, on a pu lire et entendre un peu partout que la SNCB était financièrement irresponsable concernant la création d’une ligne à grande vitesse alors que la « dorsale wallonne », à savoir Paris-Mons-Namur-Liège, existait déjà. Or cette voie ferrée n’a aucune caractéristique d’une ligne TGV ; elle ne pourrait le devenir qu’au moyen de frais inconsidérés au vu de sa rentabilité.
Il n’y a pas de rapport entre cette dernière et la véritable ligne grande vitesse internationale du nord de l’Europe, Paris-Lille-Bruxelles-Liège-Francfort, qui suscite la convoitise et la rivalité des opérateurs français et allemands de chemin de fer. Il apparaît dès lors capital pour l’agglomération liégeoise de saisir cette opportunité et de faire profiter de cette concurrence la gare des Guillemins et la Province de Liège.
Mettre la Cité Ardente à deux heures de Paris et à trente-cinq minutes de Bruxelles ne vaut-il pas la peine de soutenir l’ambition dont Liège a fait preuve dans ce dossier ?
« Le vingt et unième siècle sera celui des régions ou ne sera pas » avait un jour déclaré un ancien Président de la Communauté Européenne. Et pour avoir des régions fortes, il est indispensable de disposer de métropoles actives, accessibles et dynamiques. Avec une bonne position géographique, une main d’œuvre et un savoir-faire de qualité, et forte de quelque 600~000 habitants dans son arrondissement, notre ville a d’emblée de sérieux atouts en main.
A elle de les utiliser
intelligemment, de manière rationnelle et responsable. Et dans le dossier de la future gare, Liège semble à ce jour engagée sur la bonne voie.
Renouveau et dynamisme en gare de Liège
La filiale de la SNCB chargée d’étudier et de réaliser la gare, Euro Liège TGV, et le cabinet de l’urbanisme de Liège s’accordent sur les bienfaits de ce projet. Moyen de communication performant et édifice remarquable, la gare, à leurs yeux, a tout pour plaire.
Un projet ferroviaire et architectural
Le réaménagement de la gare des Guillemins s’inscrit dans un vaste projet ferroviaire devant amener la grande vitesse en Belgique. A ses débuts, le site des Guillemins présentait un certain nombre de handicaps. L’emplacement actuel de la gare n’était notamment pas en mesure d’accueillir des trains à grande vitesse. Elle a donc été déplacée de cent cinquante mètres vers la Meuse afin notamment d’obtenir des quais rectilignes plus longs pour recevoir ces TGV dans de bonnes conditions. Une série de travaux ont été réalisés et se poursuivent encore actuellement pour exploiter au mieux le nouveau bâtiment. Une connexion avec la liaison autoroute E25-E40 a ainsi été établie. Cependant, malgré l’important et complexe travail ferroviaire entrepris aux Guillemins, lorsque l’on parle de la gare, c’est d’abord son architecture qui frappe, qui interpelle. Une œuvre signée Santiago Calatrava. Euro Liège TGV, la filiale de la SNCB chargée de la grande vitesse pour Liège, a lancé un appel européen pour choisir cet architecte responsable de la volumétrie et de l’esthétique de la nouvelle gare. Un bâtiment qualifié à l’unanimité d’œuvre d’art. « Il y a une volonté de faire quelque chose de beau et de renouer peut-être avec ce qu’avaient été les gares dans le temps. On a fait de beaux ouvrages auparavant. Et pourquoi pas allier le fonctionnel et l’esthétique, un bâtiment de gare qui serait aussi un élément à verser au patrimoine architectural contemporain ? » affirme Martine Doutreleau d’Euro Liège TGV. « La gare, par son volume, son architecture, doit être vue comme un élément de rupture par rapport au quartier mais une rupture positive, très significative. » Ainsi, à Euro Liège TGV, on parle même d’interpénétration entre la ville et la gare. « La ville est dans la gare et la gare est dans la ville ».
« On construit tout autour de la gare »
L’espoir avoué est de voir se créer un effet d’entraînement dans le quartier des Guillemins. Le cabinet de l’urbanisme de William Ancion a ainsi établi un plan communal d’aménagement pour le quartier des Guillemins. Ce Plan a été approuvé par le Ministre wallon des transports. L’idée se veut simple : reconstruire tout autour de la gare en tenant compte de la morphologie du quartier. Mais, au préalable, des expropriations ont été nécessaires. « C’est vrai qu’on exproprie pour en arriver à reconstruire mais on reconstruira de nouveaux bâtiments avec des normes de qualité actuelles. Par les gabarits qu’on a imposé pour les nouvelles reconstructions, on donne une place d’entité particulière à la gare » confirme Valérie Burlet du cabinet de l’urbanisme qui rappelle aussi que « les riverains ont été tenus informés de l’évolution du dossier. » Ce qui n’empêche pas certains commerçants d’émettre des craintes : ils redoutent une possible concurrence liée à l’implantation de nouveaux commerces au sein de la gare même. Or, il n’est pas question pour la Ville de développer des activités qui pourraient nuire aux commerces extérieurs. Ainsi, une mixité de fonction prévaut au niveau des bâtiments prochainement implantés aux alentours de la gare : bureaux, commerces et logement. « Le quartier a tout à gagner » confie Valérie Burlet du cabinet de l’urbanisme qui voit d’un œil très favorable l’arrivée du TGV à Liège. « On peut, peut-être, attirer à Liège des investisseurs qui auraient pu s’installer à Bruxelles. Sachant que nous serons à trente cinq minutes de la capitale, ce sera nettement moins cher d’investir à Liège qu’à Bruxelles. De plus, cette gare contribuera à donner de Liège une image moderne
et dynamique. »
Tout baigne
Le chantier de la gare dure relativement longtemps du fait que les travaux sont réalisés sur un site d’exploitation. Tous les jours, il faut ainsi et construire la gare et assurer le trafic voyageur. Ce qui devrait ainsi porter la mise en service de la gare à fin 2006. Resteront alors les derniers travaux de finition.
Si les travaux se prolongent, le budget, quant à lui, n’accuse qu’un léger dépassement par rapport à l’estimation initiale. Une bonne nouvelle pour la SNCB qui doit faire face à de nombreuses difficultés. A Euro Liège TGV, on considère néanmoins que « les problèmes à la SNCB ne doivent pas empêcher toute perspective d’avenir. Le dossier grande vitesse évolue depuis des années et doit être vu dans un aspect dynamique en termes d’apports pour le futur. Alors qu’aujourd’hui en moyenne trente trois mille voyageurs passent en gare de Liège au quotidien, la nouvelle gare peut escompter un accroissement de 30 % de la clientèle. La grande vitesse va donc conduire à un renouveau global du rail. Renouveau dont la SNCB retirera assurément quelques fruits. » Patience donc !
Les travaux progressent, l’incertitude grandit
Premiers concernés par cette nouvelle construction au cœur de la ville, les commerçants de la gare et du quartier des Guillemins sont aussi tenus dans l’ignorance quant à leur place dans la future gare.
Leur avenir est il encore assuré à Liège et si oui, dans quelles conditions ?
Dans le doute
Si les usagers de l’actuelle gare et donc, potentiellement ceux de la nouvelle gare, ont déjà l’occasion de voir à quoi ressemblera leur futur, il en est d’autres qui sont dans le flou le plus total quant à leur avenir. Ce sont les commerçants à l’intérieur de la gare. Ils n’ont en effet aucune garantie sur la suite de leurs activités au sein de la future nouvelle gare ni sur le moment où elle sera opérationnelle.
Ce projet architectural grandiose (trop diront certains) abritera quelques commerces, tout comme l’actuelle salle d’attente.
Le problème de ces commerçants est que, bien qu’il soient anciens dans la gare, ils ne sont absolument pas sûrs d’avoir leur place dans cette nouvelle galerie. La raison en est toute simple : deux ans avant l’inauguration de la gare, ils n’ont toujours pas été consultés à ce sujet. Leur seule approche du projet de Calatrava a été la maquette. Ils ne savent rien, tout simplement, ils attendent qu’on veuille bien se pencher sur leurs cas. Tous s’accordent pour dire que les travaux durent et vont durer encore longtemps, un retard prévisible ayant été pris. Manifestement, la réunion qui aurait du les concerner semble aussi avoir du retard. Certains de ces commerçants s’inquiètent davantage de cette ignorance qu’ils jugent anormale vu l’état d’avancement des travaux en sous-sol.
Malgré leur ancienneté dans la galerie et le bon fonctionnement de leur commerce, ils ne sont sûrs de rien : « Il suffit qu’un privé vienne mettre plus d’argent sur la table et il remportera l’emplacement, peu importe que notre commerce fonctionne sans problèmes depuis 7 ans ou que nous soyons en bon termes avec la direction » confie une commerçante.
Plus de monde, plus de clients ?
Certains gardent des idées bien claires à propos de cette nouvelle gare : « Les avantages? Il fera plus chaud mais il y aura toujours des Sans Domiciles Fixes ou des drogués, ce monument gigantesque est un refuge ». Un des libraires ajoute : « Normalement, on dit qu’il doit y avoir plus de monde dans cette gare. Si c’est le cas, c’est bien pour moi car les gens passeront obligatoirement devant ma boutique (…) mais je ne vois pas d’où viendrait ce monde, à part peut-être du TGV de Marseille ». Même scepticisme du côté d’une commerçante depuis très longtemps dans la gare : « Les premiers mois, la curiosité attirera le monde mais après quelques mois la fréquentation redeviendra normale. »
Autre problème mais qui cette fois est une certitude : les loyers seront plus chers et certains emplacements seraient plus petits. Les commerçants le
savent, déjà prévenus ils tous ont évoqué ce problème comme inconvénient majeur. Pourtant la logique est la suivante : un loyer plus cher mais un meilleur chiffre d’affaire dû à une plus grande fréquentation. Ils voudraient y croire mais restent sceptiques.
Autour de la gare
Les commerçants à l’intérieur de la gare actuelle ne sont pas les seuls concernés. Ceux de la place et de la rue des Guillemins le sont tout autant. Ignorant quelles sont exactement les ambitions commerciales de la nouvelle gare, ils s’inquiètent de la désertion possible de leurs commerces qui ne seront plus directement accessibles par les voyageurs. Certains pensent aux conséquences qu’une petite galerie couverte à l’intérieur de la gare pourrait avoir. Ils craignent donc pour la survie de leurs activités commerciales déjà en baisse actuellement. Privés de toute information à ce sujet, ils n’ont d’autre choix que d’attendre l’ouverture de la gare et de subir le cours de événements.
D’autres parlent de l’architecture : « Cette gare sera un bâtiment splendide mais la ville de Liège n’a pas les moyens de lui donner l’environnement dont il a besoin pour être mis en valeur (…) Ce bâtiment qui fera près de 30 mètres de haut sera écrasant, il n’y a pas suffisamment de place. Cela aurait été suffisant de la faire à l’échelle un demi ou deux tiers… ».
Un autre commerçant craint que la nouvelle gare ne produise que peu d’impact sur les commerces adjacents : « Quand vous allez à Paris, vous ne vous baladez pas dans les rues autour de la gare, vous prenez le métro, on vient vous chercher en voiture ».
Les commerçants en sont conscients : « la rue des Guillemins va perdre une partie de son importance par les travaux et les circuits de circulation menant à la nouvelle gare »
Pour beaucoup, la gare des Guillemins ne ressemble pas à ce qui « Sort de terre », selon le journal d’information « Liège Guillemins », mais à un énorme point d’interrogation. Reste à espérer que la nouvelle gare, monument aux ambitions gigantesques, ne soit pas synonyme de désertion d’un quartier qui ne se porte déjà pas au mieux en ces temps d’incertitudes.