Une ballade à Saint-Gilles bas
Sortie du métro « porte de Hal », à 500 m de la gare du midi, entrée de Saint -Gilles. Pause au soleil d’hiver.
L’escalator débouche sur le petit parc porte de Hal, aux pieds de la belle porte fortifiée portant le même nom. En fait de parc, il s’agit d’une bande de pelouse domestiquée et fleurie (des jonquilles en ce printemps précoce), entourée d’axes routiers. On y retrouve toutes les sortes de zonards bruxellois : les petits vieux qui baladent leur chien, les plus jeunes qui baladent leur gosse, des habitués qui s’y retrouvent, un groupe de Polonais autour d’une bonne bouteille, des patients de l’hôpital Saint-Pierre, et puis, des flâneurs, comme moi. Par beau temps, la pelouse se teinte d’une myriade de corps à l’affût des rares rayons du soleil. La population se diversifie et l’on y rencontre aussi l’étudiante qui remonte ses manches pour se faire caresser par le soleil, l’employé –bien qu’il n’y en ait pas beaucoup dans le coin- en « pause midi »… Un endroit idéal pour discuter, parfois jusqu’à l’enquiquinement. Quand je suis bien lunée, j’accepte la conversation. Ainsi je connus dans les moindres détails les mésaventures du chien de madame V., mais aussi le périple d’un jeune Marocain sans papiers débarqué en Belgique après un long séjour dans les oranges espagnoles.
A peine traversée la ceinture routière, sur l’avenue Jean Volders, une bouquinerie communiste. Ca y sent bon la poussière intellectuelle, le livre lu et relu et les mots qui changent le monde. Au prochain carrefour, à l’angle du célèbre café « la Porteuse d’eau », la rue Vanderschrick. Cette rue qui ressemble à beaucoup d’autres promet de belles surprises au flâneur qui lève la tête : une enfilade de maisons Art nouveau, superbes, signées Blérot. Un petit bijou de rue que l’on commence seulement à rénover après des années passées dans l’incognito.
Le parvis, le marché et ses cafés
Le parvis est le cœur culturel de Saint-Gilles, animé par le marché quotidien, les cafés et ce mélange qui constitue le peuple saint-gillois. Echte brusselaire (vrai bruxellois pour le Liégeois qui parle même pas een beetje), deuxième, voire troisième génération de population immigrée (en particulier Grecs, Espagnols, Portugais et Marocains) et néo-bobos (bourgeois-bohème) s’y côtoient harmonieusement. Le marché est à l’image de cette population à deux niveaux (plus populaire la semaine et plus bobo le weekend). En semaine, l’espace entre le parvis de l’église Saint-Gilles et le carré de Moscou se couvre d’étals aux couleurs et aux saveurs diverses, à bon prix : le vêtement à 5 euros, les produits cosmétiques à demi-prix, tout ce qu’il faut pour faire un bon stoemp ou une soupe de saison. Le weekend, il s’élargit et propose de la fine gastronomie. Je vous conseille le saucisson du petit Français, les gaufres et les tartes artisanales, le pain et les fromages bio, le lait et les yaourts frais de la fermière débonnaire, les topinambours bios, le poulet fermier. Le vendeur vous racontera l’histoire de son produit, l’a vu faire/élever/cultiver, et, derrière vous, une file de gens qui se retiendront de râler. Et puis on se retrouve au café, partageant la longue table communautaire en bois avec d’autres cabas remplis, des trentenaires aux yeux cernés par la sortie de la veille et des lecteurs de journaux devant une bonne soupe.
Chez Ali B.
Dans le bas de Saint-Gilles, c’est le royaume des épiceries méditerranéennes : il y a l’Espagnol et ses plafonds de « jamón », l’épicerie et la vidéothèque polonaise, quelques « alimentations » spécifiquement portugaises, ou même asiatiques et latino-américains. Un voyage dans la cuisine du monde en un pâté de maison. Mon préféré, c’est le shopping saint-gillois, rue du Fort. On y trouve de tout, excepté les produits extra frais et les vêtements. Dans un espace somme toute moyen, il y a un véritable espace librairie, la gamme complète de nettoyage maison, tout ce qu’il faut pour mettre sur la nappe et
dans l’assiette, et même la nappe, des produits cosmétiques et un très grand choix d’épices. Je craque pour les produits italiens qu’on ne trouve nulle part ailleurs et les gros bacs d’olives ou de tomates séchées préparées. Le jeu consiste à trouver ce qui n’existe pas au shopping saint-gillois. Difficile…Une fois je me suis exclamée : mais c’est la caverne d’Ali Baba ! Un client m’a glissé à l’oreille « et justement, le patron, s’appelle Ali et son nom commence par B ».
La perche
Grand bac d’eau oblong encerclé par plusieurs étages de cabines en bois, la piscine communale Victor Boin a des accents d’amphithéâtre ou d’arène. Ce microcosme sur le thème aquatique, véritable théâtre de la vie urbaine mériterait un documentaire. «La perche», nommée ainsi en raison de la rue dans laquelle elle se situe, est l’une des plus anciennes piscines de Bruxelles. Elle est aussi l’une des moins chères. Et les parents des kets (gosses) du coin s’en servent comme garderie durant les heures extrascolaires. Par grande chaleur, on y retrouve les personnages du quartier. Un joyeux chaos y règne : pas de lignes pour délimiter les longueurs, il faut donc créer sa ligne imaginaire, en acceptant parfois d’être doublé par-dessous par un plongeur anarchique ou de devoir contourner un gosse qui s’est lancé pour la première fois dans une périlleuse longueur.
Redescente vers le parvis. J’entends de la musique au loin. Au détour de la rue, je découvre l’origine du son: un orchestre en long habit blanc et fez marocain, des hommes élégants et des femmes parées, maquillées, dansant, le buste à moitié sorti de leurs voitures, et, derrière, la circulation bloquée et les klaxons des automobilistes mécontents qui s’ajoutent à la cacophonie ambiante. Certainement un mariage marocain.
Place Bethléem
Repos bien mérité sur les marches de la place Bethléem, coin dit « chaud » de la cité, en raison des logements sociaux qui la bordent. La population me semble pourtant au diapason avec ce tranquille après-midi de fin d’hiver. De ce demi-cercle, amphithéâtre de la vie urbaine, vue imprenable sur les kets qui s’ébattent. On se demande pourquoi la commune l’a encerclé de grandes barrières en fer qui lui donne un air de prison. Une particularité du quartier, c’est qu’il est plus difficile de trouver un petit resto chinois ou italien qu’espagnol, grec ou portugais. Un des « hauts lieux » de cette restauration nord-méditerranéenne est la place Bethléem. Des restos grecs en enfilade proposent des petits os, à petit prix. L’été, on peut grignoter ces petits morceaux de porc arrosés de retsina ad hoc sur les terrasses qui encerclent la place.
Mais la lumière décroît et la petite pluie fine qui commence, sans gêner pour autant les enfants dans leurs jeux, me presse de reprendre la route.