Qu’il pleuve ou qu’il vente, il enfile son gilet fluorescent et enfourche chaque matin son bolide à pédales. L’œil avisé, il se fraye un chemin parmi les pots d’échappements crachotants. Les automobilistes pestent contre les interminables bouchons et enfoncent leurs klaxons avec rage tandis que son chrono lui indique qu’il a une nouvelle fois battu son record de vitesse pour relier la maison au boulot. « Il » ? Un cycliste en pleine forme qui délaisse les engins à moteur au profit du deux roues, écologique et rapide.
Patrick Dessart et Didier Castagne font partie de ces fous du guidon, à tel point qu’ils se sont engagés dans deux associations qui valorisent le vélo comme moyen de transport quotidien. Ils luttent de concert pour empêcher la voiture de bouffer tout l’espace et tentent de développer les infrastructures, insuffisantes à l’heure actuelle. Les deux militants liégeois sont avant tout des usagers quotidiens du vélo. « J’utilise le vélo comme principal moyen de transport, mes enfants aussi. Pour les longs trajets, nous recourons à un système de location de voiture» explique Patrick Dessart, de l’association Pro velo. Celle-ci travaille principalement dans les écoles : « Nous organisons des formations de trois jours avec brevet à la clef. » Pro velo initie aussi des citadins aux joies du deux roues : «Certaines personnes ne savent pas rouler à vélo. Nous leur proposons des stages. Il existe même des cours pour apprendre à se débrouiller en ville.» Reste que tout le monde ne possède pas sa propre bicyclette… mais pour la modique somme de 25 euros, Pro velo loue des vélos pour un an. Si le nombre d’usagers du vélo comme premier moyen de transport a augmenté en dix ans, il reste très faible : actuellement, seuls 3 % de la population liégeoise vénèrent la petite reine.
Didier Castagne parle de son association comme du «syndicat des cyclistes». Le Gracq (Groupe de Recherche et d’Action des Cyclistes Quotidiens) défend les droits des cyclistes et encourage les citadins à enfourcher leur bicyclette. Les revendications du Gracq en matière d’infrastructures sont nombreuses mais restent trop souvent lettre morte. « Ce n’est pas dans la culture de tout le monde de penser qu’il faut demander l’avis des cyclistes » soupire Didier Castagne. L’association n’hésite pas à rappeler quand bon lui semble que les cyclistes sont aussi des usagers de la route. Le Gracq a ainsi publié une brochure juste avant les élections.
Dans la plupart des grandes villes, comme à Liège, les principaux obstacles à l’utilisation du deux roues sont le manque d’infrastructures et le nombre trop élevé de voitures. « Le nombre d’autos ne cesse d’augmenter et au lieu de réagir, la ville privilégie le stationnement. Les parkings et les emplacements de voitures bouffent tout. Les voitures se garent partout. L’idéal serait d’instaurer un système de navettes pour garder les voitures en dehors du centre ».
Les associations s’intéressent beaucoup à la politique cycliste de nos pays voisins. « En France, il existe un plan de déplacement urbain et aujourd’hui, le nombre de voitures diminue. » explique Didier Castagne. « À Berlin, 75 % des routes sont limitées à du 30 km/h, ce qui encourage beaucoup de gens à voyager à vélo. » Mais chez nous, le vélo reste considéré, dans l’esprit de beaucoup de gens, comme un moyen de transport de dangereux aventuriers. « Bien sûr, certains cyclistes se comportent comme des cow-boys et un enfant ne pourrait pas se déplacer seul en ville mais, dans 95 % des cas, cela se passe très bien » souligne Didier Castagne. « L’idéal serait de lancer des actions pour sensibiliser à la fois les cyclistes et les automobilistes » suggère le responsable du Gracq. « Même si les conducteurs sont moins agressifs qu’il y a dix ans. »
Il n’empêche qu’un cycliste doit rester continuellement sur ses gardes. La ville regorge d’embûches et de pièges aussi variés que farfelus. Petit florilège en cascade : les bordures de trottoirs, les laisses de chiens, les piétons imprévisibles,
les flaques d’eau, les portières qui s’ouvrent brutalement, les pavés mal pavés… Autant de mauvaises surprises qui ne pardonnent pas au cycliste distrait. À côté des petits ennuis passagers, le fou du guidon connaît des plaisirs intenses, comme celui de doubler voitures et piétons, d’éviter les problèmes de parking, de sculpter ses mollets au rythme des kilomètres parcourus, de voir son espérance de vie augmenter de deux ans et de participer à la construction d’un monde plus vert.
Le Gracq et Pro velo ont un même rêve : que les citadins utilisent le vélo pour leurs déplacements de maximum cinq kilomètres. Et sachant que 69 % des déplacements effectués en voiture en Wallonie sont inférieurs à trois kilomètres, on peut rêver d’une région wallonne grouillant de chasubles fluorescentes et résonnant au doux son des sonnettes… Utopique ?