Son souhait fut satisfait et il mourut le lendemain matin. Il faut bien dire que le Britannique n’a jamais caché que la fin de sa vie fut des plus aventureuses. Il recommandait par exemple la mescaline, disant à son propos que «les gens qui pourraient en bénéficier le plus sont les professeurs» et «qu’il serait excellent que quiconque a des idées fixées et une certitude absolue sur les choses prenne cette substance. Il se rendrait compte que le monde que nous avons construit n’est en aucune manière le seul monde, qu’il existe bien d’autres types d’univers extraordinaires, des mondes que nous pouvons habiter, ce qui devrait nous remplir de gratitude» (1).
Huxley est considéré comme un auteur de référence en ce qui concerne les psychotropes et la traduction de leurs effets sous la forme littéraire (2). Il serait fastidieux et inutile de dresser ici la liste des écrivains ayant largement traité de ce thème. Il semble toutefois qu’une étrange récurrence de ce type d’expériences littéraires influencées puisse nous permettre de poser cette question : n’y a-t-il pas certaines analogies entre les drogues hallucinogènes et l’acte d’écriture ?
De nombreux témoignages traitant des fameux LSD, champignons et autres mescalines font mention d’un effacement des frontières de l’ego, de dépersonnalisation, et de voyage. En somme, on peut y trouver un moyen de contact avec l’invisible, une façon de sortir de son corps et de toutes les conceptions accrochées au mot «je». Certains estiment même que les premières manifestations d’un phénomène religieux puissent être liées au contact avec les substances hallucinogènes(1).
Cette quête de dépassement du moi ne serait-elle finalement pas également le quotidien de l’écrivain? Le journaliste peut se tenir à un garde-fou: la réalité. L’auteur de fiction doit toujours chercher à sortir de cette réalité, de sa réalité. Même s’il n’y parvient jamais de manière absolue, cette quête doit souvent l’occuper. Il ne serait d’ailleurs sans doute pas exagéré d’imaginer qu’il en est de même pour le lecteur. La fiction l’emmène dans d’autres mondes. Des univers extraordinaires, des mondes que nous pouvons habiter, ce qui devrait nous remplir de gratitude. Mescaline ou littérature. Ou les deux. Ou aucun. En tout cas, transporter son ego sans bouger de son fauteuil, c’est possible. N’hésitez donc pas, prenez un carton et écrivez quelque chose dessus, vous voilà déjà partis.