« À l’époque, quand mes parents nous donnaient une canette de coca-cola, on la descendait aussi sec. Il faisait chaud! En refusant de nous en donner une seconde, mon père nous disait souvent que lui, il avait combattu la soif quand il avait traversé le désert du Gobi. Un jour mon frère m’a demandé ‘tu crois que c’est vrai ce qu’il raconte ?’ et moi je lui ai répondu ‘Papa, il a pris combien de fois le train pour venir en Italie ? Des dizaines! Alors, il pourrait fort bien avoir voyagé dans un désert’. L’histoire avec les treni speciali, elle est là…»
« Ma nonna est toujours restée fidèle aux treni speciali. Nous, dès les années 80, on descendait en voiture. Quand on allait la conduire aux Guillemins, on aurait dit une procession! C’était un moment particulier : le matin, début juillet, un peu excités parce qu’on savait qu’on allait partir un ou deux jours après, des gens partout, du bruit, des bagages qui passent par les fenêtres… Et à chaque fois, je me rappelais la dernière fois où on avait fait le voyage en train avec mes parents : avec ma soeur, on s’était ramassé une sacrée tourista et on avait fait la moitié du trajet dans les WC. À chaque fois que je voyais ma nonna monter dans le train, ça me revenait à l’esprit…
« Dès qu’on mettait les pieds sur le quai des Guillemins, on avait un peu l’impression de débarquer dans l’Italie du début des années 50 – et je te parle de ce que j’ai vu dans les années 80. Partout des familles et leur bardas et un brouhaha monstrueux. Je m’attendais à tout moment à voir débarquer quelqu’un avec une chèvre, un piano ou un frigo! »
« Début des années 60, la foire était encore plus totale. On était tous fauchés, on pouvait à peine se payer le billet : pas question de prendre une réservation. Et la couchette, oublie ! Alors, ces trains, qui n’étaient pas gérés par la SNCB ni même les chemins de fer italiens mais par la Compagnie Italienne de Tourisme (C.I.T.) ou la Wastell, étaient pris d’assaut. Il était fréquent de rester dans le couloir, assis sur sa valise, entre Milan et Liège. C’était la grande époque ça, qu’est-ce qu’on a pu se marrer : on avait l’impression de vivre une épopée. »
« Je viens du Nord-Est de l’Italie où il y a, je dirais, comme une tendance à considérer les gens du Sud comme des sauvages… alors tu imagines notre tête quand on montait dans le train du retour à Milan ! On tombait sur des familles de Calabrais et de Siciliens qui s’étaient déjà farcis 30 heures de voyage sous 40 degrés: ils avaient des tronches incroyables ! Et ça sentait l’étable, comment aurais-tu voulu faire autrement Nous on voulait prendre nos places (souvent réservées), eux, ils voulaient préserver leur espace vital : à tous les coups, ça frisait le clash ! Après, on vient te dire que la différence est culturelle, mais non, elle est ferroviaire!»
« Nous, on allait jusqu’en Sicile : 48h. Ma mère avait prévu de la bouffe pour tout le monde et aussi à boire. Rien que ça, c’était un sac de 20kg ! Le second jour était toujours surnaturel : des tronches pas possibles, la torpeur de l’après-midi, le vacarme feutré des nuits, l’entassement des corps dans la couchette, les gens qui fument des clopes dans le couloir et des discussion partout, tout le temps, sur tout… Aujourd’hui, je vais à Palerme en 2h30 mais si j’avais l’occase, je me ferais bien un petit périple en Treno Speciale – juste comme ça pour me faire des vacances dans le temps…»
Et comme on dit en Italie : « se non è vero, è ben trovato»