Des salaires de misère

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En comparant les différents revenus réels des plus démunis, l’on constate, d’une part, une disparité entre les différentes allocations sociales et, d’autre part, un système de compensations qui bouscule la soi-disant hiérarchie des critères de la pauvreté, alors que la situation sociale réelle est bien souvent identique. Le but de l’article n’est pas de discriminer un statut par rapport à un autre ni de recenser tous les montants et toutes les situations difficiles, mais plutôt de lever certains clichés.

Le minimex

Bien qu’il paraisse le moins avantageux des statuts, le minimex n’est pas le pire. En effet, celui-ci bénéficie de toute une série d’avantages qui permettent aux bénéficiaires de cette allocation d’alléger leurs dépenses. Les minimexés (ou allocataires ou ceux qui touchent le R.I.S., Revenu d’Intégration Sociale) ayant droit au tarif préférentiel V.I.P.O. (1) (remboursement quasi complet des médicaments et des soins de santé) ne paient que 77 euros pour un abonnement annuel à la S.T.I.B. contre 350 euros pour les autres. Pour la S.N.C.B., la différence est de 50 pour-cent. Le chat du minimexé a également droit à des tarifs préférentiels en soins de santé. L’allocataire, pas le chat ! a d’office droit aux articles 27, sorte de ticket modérateur pour les spectacles, ce qui est conditionné dans le cas des chômeur au fait de participer à une démarche active de recherche d’emploi. Les minimexés ont des réductions conséquentes en ce qui concerne les factures énergétiques. Il faut savoir que pour l’électricité, le ou la minimexé(e) ne payait jusqu’en 2003 que le tarif social, soit une exemption de la redevance annuelle de 70,88 euros. Il avait droit à la gratuité des cinq cents premiers kilowattheures (consommation annuelle normale pour une personne) et une réduction de 17 cents pour chaque kWh supplémentaire (2). Les inégalités ont été réduites en 2004, puisque la redevance électricité est à 15,69 euros. Pour le gaz de chauffage, même suppression de redevance, soit 116,05 euros. Un bémol doit être apporté ici vu que depuis octobre 2002, ce statut est lié à une certaine obligation de travail. De plus, le type de travail est imposé, via les articles 60 et 61, et souvent manuel, le diplôme n’intervenant qu’en ultime recours. Ces deux articles datant des années septante offrent un travail à durée déterminée en vue de récupérer les droits au chômage. Cet emploi est rétribué par le C.P.A.S., par l’entreprise (art.61) et par l’Etat, grâce à des diminutions de charges sociales. L’ensemble du revenu ainsi constitué correspond au minimum salarial dans ce secteur. Rien de tel pour alimenter d’avantage la précarité.

Le chômage

Le montant moyen des allocations de chômage pour un isolé était de 592,43 euros en moyenne en 2003, alors que pour un isolé émargeant du C.P.A.S., ces allocations « s’élevaient » à 590,46 euros. Aujourd’hui, si le R.I.S. est presque égal au chômage, soit 595,32 euros, ce dernier ne donne droit à aucun allégement pécuniaire, tout au plus à l’article 27. Si le chômeur est désavantagé, c’est parce qu’il aurait l’opportunité de retrouver un emploi et que le chômage n’est qu’une allocation d’attente. Cette idée reçue ne correspond pas à la réalité. Bon nombre de chômeurs ne retrouveront plus du travail, parce qu’ils ont travaillé dans un secteur qui n’est plus porteur à l’heure actuelle. Et puis, il n’y a plus assez de travail pour tous ; et encore moins assez de travail décent pour tous.

La « petite pension » et le handicap

La pension de base d’un indépendant ayant une carrière complète de 45 ans est de 629,75 euros. Pour un salarié dans le secteur privé, le prix plancher est à 832,66. Pour peu que la carrière soit incomplète, un calcul savant vous ramène au C.P.A.S. Fallait-il qu’ils cotisent ? Leur revenu le permettait-il ? Ne sont-ils pas plutôt victimes du salariat ? Une ouvrière qui a travaillé vingt ans ne reçoit même pas cent euros en plus par rapport au chômage d’un isolé. Quant au handicapé, tout
dépendra du taux d’invalidité et de sa capacité d’intégration. Si le Ministère des affaires sociales estime que l’invalidité est de 66 pour-cent, mais qu’elle lui laisse une certaine autonomie, le handicapé ne bénéficiera que d’un complément au minimex de 923 euros par an. Moralité : si vous voulez avoir plus de sous, faites-vous péter la rotule.

Le « bas salaire »

De nouvelles sociétés de téléphonie engagent des jeunes peu qualifiés dans le seul but de peu les rétribuer. Le boulot dans un call-center (service téléphonique d’information aux clients) n’est pas plus valorisant que celui dans les usines Renault : il s’agit toujours d’un travail à la chaîne, même si elle ne se voit plus. Par contre, ce nouveau job est beaucoup moins bien payé.

Les « faux indépendants » constituent une nouvelle race de travailleurs précarisés. Ils exercent des professions de traduction, d’enseignement, d’art, de journalisme… Beaucoup de sociétés privées préfèrent engager sous le statut d’indépendant dans la mesure où cela leur permet de ne pas payer les charges sociales : c’est au travailleur qu’il incombe désormais de se prendre en charge ! Un professeur free-lance est tenu à une certaine efficacité sous peine de ne plus recevoir de son directeur-manager des heures de cours, et donc, de salaire. En faisant d’un service public un produit de consommation, ce statut transforme aussi la nature du travail : un cours de langue devient un kit de soixante heures, en groupe ou en one-to-one, donné à domicile selon une méthode au choix (dont l’hypnose), avec possibilité de déduction fiscale.

L’artiste

Ce statut n’existe pas encore réellement. Et pour cause : comment et qui peut définir un artiste ? Une nouvelle loi balance entre les statuts d’indépendant et d’employé. Entre les deux, et pour la majorité des artistes, il existe les prestations occasionnelles. Une nouvelle société de sous-traitance des contrats, la SMArt (Société Mutuelle pour Artistes), blanchit l’argent noir de vos prestations en cotisations pour votre pension et votre mutuelle. Blanchiment d’argent surtout intéressant pour l’Etat. Car pour l’artiste, le montant de sa pension équivaudra à un peu plus du minimex. En attendant, il aura donné quarante pour-cent de sa recette, qui n’était déjà qu’une aumône. Pas vraiment élégant !

À misère égale, allocations inégales

Et alors, la solution ? L’allocation universelle, quoi que ce ne soit pas la panacée. Le mieux, ce serait une société sans argent ni profit. Une sorte de société des plaisirs à la Raoul Vaneigem (3) où chacun vivrait selon ses possibles et ses horizons, mais en accord avec autrui. Si chacun faisait ce qu’il avait envie de faire, en tâchant de réaliser ses rêves d’enfant, ses « passions », de faire œuvre, un peu comme un artiste réalise une œuvre d’art, le résultat de ce travail serait bien plus profitable à la société que celui du travail salarié qui aujourd’hui ne tourne qu’autour de la notion de profit. Paradoxalement, la Belgique est l’une des meilleures élèves de l’Union européenne en matière sociale. Paradoxalement toujours, si la situation sociale est bonne, c’est aussi grâce à la société des profits si décriée dans mon article. Contradiction, contradiction…

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