Le voyage d’un sans-papiers pour arriver jusqu’en Europe, est plutôt du genre « organisé » ?
Il y a beaucoup de préparation avant mais il faut aussi improviser pendant. Ça dépend aussi d’où tu viens et surtout de comment tu voyages. Si tu es illégal, dès le départ, Il faudra négocier les prix avec des gars qui sont dans le domaine et te feront passer. Ils savent s’arranger avec les douaniers pour qu’ils ferment les yeux à un moment convenu pour que tu puisses passer. Bien sûr faudra payer tout le monde. Ou alors tu décides de le faire sans rien dire à personne et de te cacher dans un camion, par exemple, en espérant passer au travers du filet.
Il y a un itinéraire à suivre ?
Il y a beaucoup de voyages mais pas une infinité de routes. Pour les Africains, il y a en a trois : l’Espagne par le Maroc, les Canaries ou l’Italie par la Tunisie. Les Albanais et les Kosovars ont d’autres chemins et ceux qui viennent d’Asie passent plutôt par l’Ukraine ou la Bulgarie parce qu’ils savent obtenir des visas pour ces pays-là – mais après, ça se complique énormément. Personnellement, je suis arrivé du Maroc en passant par la Tunisie pour gagner l’Espagne. À l’époque, tu n’avais pas besoin de visa pour faire ce trajet, alors qu’il en fallait déjà un (depuis 1990) si tu partais du Maroc. Le plus difficile n’était pas d’arriver en Espagne mais de se déplacer en Europe. Je voulais aller en Hollande et pour ça, je devais traverser trois frontières et à chaque fois il faut trouver une solution.
Comment est-ce que vous vous y preniez ?
Tu pars avec un chauffeur qui lui a des papiers évidemment et peut-être deux ou trois autres clandestins. À 500 mètres de la douane, devant la plaque «Espagne», tu t’arrêtes et le chauffeur ouvre le capot (il fait le coup de la panne). Tu as cinq secondes pour foutre le camp dans la forêt et tenter de traverser la frontière à pied. Mais attention, il y a des patrouilles avec radars, chiens et tout ça ! 500 mètres après la frontière, le chauffeur s’arrête et il te reprend… si tu as réussi.
Aujourd’hui, ce n’est plus pareil, la principale difficulté, c’est de rentrer en Europe, après, c’est quand même moins difficile de bouger.
Est-ce que le voyage vous a un peu formé, en quelque sorte ?
Le voyage, c’est énorme – c’est une histoire… un peu comme les gens qui partent trois mois dans la montagne… c’est initiatique! Tu ne connais pas l’endroit où tu es, tu ne comprends pas la langue, tu peux crever en chemin. Et quand tu es arrivé sur place, le chemin n’est pas fini ! D’autres problèmes commencent : Il faut essayer de survivre ! Tu apprends à être plus que débrouillard.
Comment choisit-on sa destination finale ?
On essaie toujours de retrouver sa «famille». Dans la mesure du possible, on tente de rejoindre un parent, proche ou lointain, un voisin, un ami, l’ami d’un ami. Sinon, d’aller quelque part où on sait qu’il y a déjà une communauté à laquelle on appartient. Parce que si tu arrives en Europe sans personne, franchement, c’est très dur. Mais bon si tu n’as personne, tu seras plutôt attentif aux critères linguistiques ou politiques : est-ce qu’on expulse, est-ce que la société est raciste, est-ce qu’il y a du travail. Mais il n’y a pas de solution, pas de recette claire : il y a une procédure de régularisation en ce moment en Espagne mais si tu n’as pas de contrat avec un patron, c’est l’enfer, il y a rien. En Belgique, on expulse et on régularise peu mais si tu as des ennuis de santé, par exemple, tu as encore des solutions comme la Croix Rouge…
Qu’est-ce qui pousse à partir ?
La principale raison du voyage, c’est de trouver la sécurité, c’est pour ça que les gens qui arrivent ici ont pris la route. Il y a la guerre ou des difficultés économiques, on ne sait pas de quoi demain sera fait. Alors on part et on ne s’arrête que là où on croit trouver une situation claire et bien établie.
Parce que ça servirait à quoi de s’arrêter dans un pays africain où tu sais que la situation est la même que dans celui d’où tu viens ?
Et ici, c’est la sécurité ?
Franchement, pas beaucoup plus que chez nous ! Nous, on part dans l’espoir: on nous a dit qu’en Europe, il y a les droits de l’homme. Au point où on en est, on tente, tu comprends. L’Europe prône la libre circulation des biens et des personnes alors… Et on trouve une drôle de situation, d’un côté on ferme les yeux et de l’autre, en même temps, on expulse. À l’UDEP on veut sortir de cette situation et remettre la procédure de régularisation dans l’Etat de droit: avec des critères clairs et un arrêt des lenteurs administratives.