Bruxelles nous appartient / Brussel behoort ons toe (BNA-BBOT)

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C’est un véritable plaidoyer pour que les gens se parlent et s’écoutent. Nous voulons remettre le dialogue, la conversation, la transmission orale au coeur de la ville. Le projet est prétexte à des rencontres inhabituelles, ou à des conversations inhabituelles entres voisins ou habitants, dans un contexte proche de la conversation plutôt que du débat. Bruxelles est une ville officiellement bilingue, effectivement multilingue. Nous avons choisi de nous limiter à l’usage des deux langues officielles, car il est important que les autres habitants puissent écouter et comprendre les conversations enregistrées.

Assez régulièrement, on nous demande des explications sur notre projet en utilisant des dénominations légèrement dérivées: « Bruxelles m’appartient », « Bruxelles t’appartient », « Bruxelles vous appartient », etc. Chacune de ces dénominations nous semble réductrice par rapport au nom réel de notre projet : quand nous disons « nous » appartient, c’est bien sûr un « nous » incluant chacun et chacune. Ce n’est pas un repli excluant tous les autres, qui ne sont pas comme ce «nous» qui resterait à définir. Chacun peut prendre part à ce « nous » et se sentir concerné par lui.

Il y a également le mot Bruxelles, la ville dans laquelle nous vivons, ce territoire, cet espace en même temps convoité et délaissé, capitale d’un drôle de pays, d’une Europe cinquantenaire, ville d’accueil où il est de plus en plus difficile de se loger.

Bruxelles n’appartient à personne. Mais, en racontant son expérience propre dans cette ville, pourquoi on y vit, ce qu’on y cherche, pourquoi on y reste, ce qu’on souhaiterait y trouver, chacun participe à un processus de réappropriation de son espace de vie, et définirait ainsi un « territoire » symbolique dont il est le centre. Et ce témoignage, cette rencontre, existe dans notre collection parmi des centaines d’autres, et l’ensemble forme un formidable kaléidoscope de vies, de réflexions, de respirations, d’espoirs, de coups de gueule, d’idées, pertinentes ou non suivant les points de vue. Un vaste territoire d’échange en tous cas.

L’ensemble du projet repose sur trois axes qui se combinent : la participation, l’archivage et la restitution.

Participation

BNA-BBOT ne réalise pas les enregistrements. Nous prêtons du matériel à chaque personne qui souhaite réaliser un entretien avec quelqu’un de son choix. Cette personne devient « Kurieuzeneus ». Nous lui expliquons le fonctionnement de l’appareil et nous donnons quelques consignes: la personne choisie pour devenir « Babbeleer », celle qui va raconter son histoire, doit habiter Bruxelles, peu importe depuis quand. La conversation portera sur la vie à Bruxelles. Nous donnons aussi quelques conseils sur la manière de mener l’entretien, qui se rapprochera plus d’une conversation. Nous nous écartons des modèles d’interview journalistique, de sondage d’opinion ou de micro-trottoir. Exclu aussi les enregistrements sauvages ou cachés ! Ici, il y a un rendez-vous fixé, et ensuite un moment que nous espérons privilégié où deux personnes se racontent, s’échangent ou se confrontent leurs points de vue, se révèlent l’un à l’autre et parfois se révèlent à elles-mêmes. Le processus de dialogue est fondamental.
L’enregistrement se fait uniquement au niveau audio, nous ne faisons pas d’enregistrements vidéo. Pour d’évidentes raisons matérielles, mais surtout parce que le rapport de l’auditeur est très différent de celui du spectateur. En effet, l’écoute sans support visuel oblige ou encourage à « rentrer » dans la tête de celui qui parle. On suit le cheminement de sa pensée. On respire avec lui. On partage un peu sa vie, sans la distance que crée presque inévitablement l’image dans la petite boîte. Enfin, un certain anonymat est maintenu dans l’enre-gistrement sonore.

Un jour, une femme qui suivait un cours d’alpha où je faisais une présentation du projet m’a demandé: « Mais pourquoi on ferait ça ? ». J’ai tenté de lui donner des réponses ou en tous cas d’ouvrir des pistes qui
feraient écho à des besoins ou des envies d’expression. Finalement, elle m’a dit: « Ah oui. Alors, je vais réfléchir à ce que je pourrais dire de positif, car on ne peut quand même pas dire que du négatif. » Et je me suis dit, formidable, cette femme a commencé un petit processus de réflexion sur sa vie et sur ce qu’elle aurait à transmettre de son expérience propre, et cela sans verser dans des plaintes qui n’apportent que peu de prise de conscience ou de perspectives de changements.
Nous pensons, de manière un peu utopique, mais néanmoins convaincus, qu’un projet comme BNA-BBOT peut être un facteur de changement, d’évolution de meilleures perceptions d’autres réalités, et cela pour chacun des participants, qu’il soit Babbeleer, Kurieuzeneus ou simple auditeur.

Archivage

La participation du Kurieuzeneus ne s’arrête pas à l’enregistrement de la conversation. Pour pouvoir l’intégrer dans la collection et le rendre disponible, l’enregistrement doit être indexé et commenté. Nous avons pour règle de tout conserver. C’est le Kurieuzeneus qui réécoute son enregistrement, le divise en séquences et attribue à chaque séquence ses propres mots-clés, de manière libre, ou de brèves descriptions. Il peut faire cela chez lui, mais nous l’encourageons à venir faire la réécoute au Magasin d’histoires. En effet, c’est une partie du boulot qui demande un peu d’encadrement et de soutien pour la mener à son terme. Une fois cette étape terminée, il ne reste plus que la partie technique: transfert de l’entretien sur CD, copies pour les participants, transfert sur le serveur des fichiers sons, encodage des descriptions dans la base de données.

Celle-ci, dotée d’un puissant moteur de recherche, est depuis début 2006 entièrement accessible via le web, moyennant un accès personnel (et gratuit) et l’envoi d’un mot de passe. Cette procédure, très simple pour l’utilisateur, n’a que des avantages. Chaque personne inscrite a la possibilité de faire ses recherches, d’écouter des heures d’enregistrements, mais aussi de se créer ses propres compilations, dans lesquelles il pourra « sauver » les extraits qui l’intéressent et qu’il souhaite retrouver lors d’une prochaine visite. Il a également la possibilité d’envoyer des commentaires et d’enrichir la description des séquences écoutées.

Restitution

Il existe enfin un troisième volet, indissociable des deux premiers. C’est la question de « Qu’est-ce qu’on fait de tout ça ? ». Si l’archivage remplit déjà une fonction de mise à disposition de la matière sonore, il est clair que c’est une démarche qui ne va pas passionner tout le monde. Dès le début, la question de la création artistique à partir de cette matière brute a été associée à la récolte de témoignages. Le projet a été conçu au départ par deux compagnies théâtrales, Transquinquennal et Dito’Dito. Il existe depuis 1999 et a été lancé lors de Bruxelles 2000. Il s’agissait de créer une « alliance gigantesque entre habitants et artistes » pour donner « une autre image de la ville, plus proche du vécu de ses habitants ».

Ce lien à la création artistique permet de mettre en valeur, à travers toutes les disciplines artistiques, la formidable diversité de points de vue que nous avons recueillis. Nous avons développé depuis huit ans de très nombreux projets avec bons nombres d’artistes, amateurs ou professionnels, et dans des disciplines aussi diverses que la création sonore, la photographie, la bande dessinée, le théâtre, la vidéo, la danse, en passant par le DJ-ing et les promenades sonores. Ces collaborations peuvent prendre des formes très variées, dans lesquelles la liberté de création est aussi importante que le respect élémentaire des témoignages et des personnes.

Ces créations accessibles au public alimentent le projet global, le font résonner autrement ailleurs, touchent d’autres personnes, qui peut-être y trouveront l’envie d’y participer activement eux aussi. Et ainsi, se réapproprier symboliquement l’espace dans lequel nous vivons en affirmant sa présence et sa manière de voir le monde.

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