Le bus n’a pas de voie propre, sinon rarement ou par petits tronçons. Il se mêle le plus souvent à la circulation des voitures, et traverse la ville à même les rues. De par la vitesse relativement lente du véhicule, on a tout le loisir de contempler le spectacle du quotidien. Vincent, 29 ans, a même pris le goût de ces détours parfois vertigineux caractéristiques des trajets de bus: « Ça te permet de visiter des quartiers que tu ne visiterais pas d’une autre manière. Tu peux voir les quartiers comme ils sont : ceux où il y a des grosses baraques et puis ceux plus prolétaires, l’évolution du milieu… »
Par ailleurs, la promiscuité créée par l’étroitesse des sièges provoque souvent des contacts physiques entre les voyageurs. Il est fréquent, dans cet espace, de se frôler, du coude ou du genou ou encore de humer les odeurs corporelles des autres. Pour échapper à cette trop grande intimité, sans doute, certains préféreront ainsi quitter leur voisin de banquette dès que l’opportunité d’en avoir une pour eux tout seul se présentera. Mais le plus souvent, l’attitude consiste à croiser les bras et à se perdre dans la contemplation du dehors.
Parce qu’il est lent ou parce qu’il est exigü, peut-être, le bus amène ses passagers à concentrer leur attention sur l’extérieur. En surplomb des passants, le voyageur derrière sa vitre, voit sans être vu. Qu’il en soit conscient ou non, l’usager du bus est toujours un voyeur.
Des visages, des figures
Mais qui sont donc ces gens qui prennent le bus ? Les étudiants composent les deux tiers des voyageurs du TEC (1). Ils sont nombreux à se plaindre du coût des titres de transport. Marc, 20 ans, étudiant en informatique, remarque : « On devrait favoriser le trajet des étudiants. Au Luxembourg, par exemple, les étudiants ont une carte gratuite pour le trajet de leur logement à leur école ».
Les retraités, tout au contraire, profitent pleinement du bus car leur abonnement à eux est gratuit ! Une dame de 78 ans, explique : « J’aime bien le bus parce que ça permet d’avoir des contacts. Mais si j’en vois mettre leur pied sur les fauteuils, je leur fais la remarque. » Par ailleurs, a défaut d’une véritable mixité sociale, le bus est un lieu où différentes cultures cohabitent. Parmi ceux qui n’ont pas d’autres moyens de se déplacer dans la ville, nombreux sont d’origine étrangère. Différentes langues et différentes façons de prendre le bus se rencontrent.
Originaire du Burundi, Fidèle, 35 ans, raconte : « Chez nous, quand on rentre dans le bus, on se salue les uns les autres, même si on se connaît pas. Et puis, comme il y a très peu de bus, il est toujours bondé. C’est illégal de faire monter tant de monde mais le chauffeur laisse faire tacitement.»
Enfin, on peut constater que la population des bus est majoritairement constituée de femmes. Celles que j’ai rencontrées sont femmes au foyer et utilisent le bus pour conduire leurs enfants à l’école ou pour faire des courses en ville. Elles n’ont pas de permis ou pas de voiture. « Ah mais c’est ça qui sent l’égoût ! C’est ma viande ! » s’exclame l’une d’elle en reniflant ses achats. Pour les femmes avec une poussette, la montée par l’avant du bus, obligatoire depuis 2005, pose parfois problème : « C’est difficile de rentrer par l’avant parce que la rampe gêne le passage. On doit demander au chauffeur pour qu’il ouvre les portes du milieu. Si il est sympa, il le fait. » explique l’une d’entre elles.
Chauffeur, tu fraudes…
Une des particularités du bus, en tant que moyen de transport en commun, réside en ce qu’il permet à l’usager d’avoir un contact direct avec le chauffeur. On peut se demander si la mise en place de toujours plus de mesures de sécurité pour lutter contre les agressions ne modifie pas la nature de ce contact.
L’obligation de monter par l’avant du véhicule, par exemple, fait porter au chauffeur la double casquette de conducteur et de contrôleur. Beaucoup d’usagers, pourtant, semblent
satisfaits de cette mesure. Paradoxalement, les chauffeurs eux-mêmes assument naturellement cette nouvelle fonction policière : « On a plus de contact avec la clientèle. Le fait de se dire ‘bonjour-aurevoir’, ça permet un respect mutuel.»
Par ailleurs, une autre mesure tend à installer dans chaque bus des cabines fermées, sensées protéger les chauffeurs contre d’éventuelles agressions physiques. Ce dispositif semble moins bien toléré par les employés du TEC. Outre qu’elle ne leur semble pas vraiment nécessaire, la cabine fermée altère nettement les conditions de travail. Nicolas, chauffeur de 32 ans à Liège, raconte : « Je connais énormément de chauffeurs qui ne supportent pas la cabine fermée. Ils trouvent que le contact avec les gens c’est ce qu’il y a de mieux. Personnellement, une fois passé les Guillemins j’ouvre la porte et je discute avec les passagers. ». Ainsi, la prudence est de mise. Massoud, 27 ans, ouvre aussi la porte de sa cabine pendant son service. Il explique : « Si les contrôleurs nous prennent sur le fait, ils nous mettent ce qu’on appelle une fiche. À un certain nombre de fiches, tu es appelé chez le directeur qui te remonte les bretelles… »