Propos reccueillis au hasard d’un lieu fréquenté par certains toxicomanes liégeois (ceux-ci n’étant pas forcément représentatifs du milieu dans son ensemble) :
C4 : Vous avez entendu parler du projet de distribution contrôlée d’héroïne en préparation? Vous en savez quoi ?
A, une jeune fille de 21 ans : ouais, y paraît que c’est même pas de la vraie came en fait !
C4 : Comment ça ?
A : Ben oui, que c’est pas de l’héroïne brune, en poudre, comme on prend nous … Paraît qu’on sait même pas la fumer…
B, une autre jeune fille, +/- 25 ans : Mais quoi, c’est commencé, non ? Comment ça se passe ?
C, un homme 25-30 ans, fort occupé à se faire un shoot –et ça n’a pas l’air facile-, lève la tête : Moi aussi, j’étais sûr que c’était commencé ; non, vraiment? C’est dire le peu d’impact…
C4 : Non, le feu vert est lancé, la phase de préparation aussi, mais la phase de traitement en elle-même ne débutera qu’en fin d’année…
C : Ça ne concerne que 200 personnes, c’est ça… J’vois pas trop ce que ça va changer sur le terrain. Faut s’attendre à rien de spectaculaire, ni pour la baisse de la criminalité, ni pour l’amélioration de la santé, ni pour les liégeois qui en ont marre des toxs, de moins en moins gênés, qui envahissent le centre ville et se shootent n’importe où… D’un autre côté, on ne pourrait pas faire ça pour tout le monde, les gens et les politiques ne l’accepteraient pas. Ce serait la révolution ! On trouverait immoral que la Ville distribue en masse sa came gratis aux héroïnomanes. Et puis, t’imagines, tous les toxs de Belgique et même de l’étranger viendraient s’installer à Liège, c’est sûr, t’imagines le bordel !
D, un gars de 35 ans, un peu en retrait jusque là, mais très attentif et qui a l’air d’en savoir un bout sur la question : Ce ne sont même pas 200 personnes qui recevront de l’héro, mais 100. Les 100 autres seront à la métha, pour pouvoir comparer. Moi, ça fait depuis que j’ai croisé le chemin de l’héroïne, y’a plus de dix ans, que j’entends parler de distribution contrôlée à Liège. Alors, je suis content que finalement ça se fasse, la Ville a pas reculé, même si je suis un peu deçu de la modestie de l’expérience au final. J’crois effectivement qu’on va pas ressentir les bénéfices que les usagers et la population liégeoise dans son ensemble auraient pu retirer d’une expérience un peu plus large : moins de criminalité et de deal de rue, moindre visibilité du phénomène dans les rues, amélioration de la santé et des conditions de vies des dépendants, stabilisation financière, sortie de la rue et d’un quotidien tout entier tourné vers la recherche de fric et du produit, « resocialisation»… Mais là, on est loin de ça, surtout quand on voit les contraintes aberrantes du truc, genre : se rendre 3x/jour, 7 jours sur 7 à l’hosto, plus le reste du suivi et des contrôles!
C : Oui, c’est n’importe quoi ! D’un côté on va aller chercher les cas les plus lourds, les toxs les plus à la masse, et puis en même temps on va leur imposer un cadre super strict. Ça marchera jamais ! Y vont pas tenir. Et puis, si on oblige les gens à passer leur vie à l’hosto, comment y font pour se « réintégrer socialement » ?
D : Moi, au départ l’idée d’être dans le programme me branchait. Mais j’dois dire que vu les conditions, laisse tomber ! J’en avais même parlé, à mon médecin, mais il était pas très au courant, alors que la moitié de ses clients sont « dedans ». Et puis j’ai pas le profil, même si je suis accro à fond ; je bosse, je suis socialement intégré…et je shoote pas.Y’a des trucs que je me demande par exemple : comment on va choisir les 100 élus ? Et puis, si tu cherches à intégrer l’expérience parce que tu crois qu’un traitement à base d’héro est la meilleure solution pour toi, est-ce que tu risques pas en fin de compte de te retrouver dans « le groupe métha » ? T’imagines l’enfer !
C : Oui, ça, y vont s’amuser pour trouver les 100 qui participeront sérieusement au groupe à la métha, dans les conditions strictes comme ça, alors
que l’encadrement pour les traitements à la métha sont de plus en plus cool !
C4 : Et sinon, sur le fond vous en pensez quoi ?
B : Ça dépend un peu ce qu’on recherche. Si c’est pour « décrocher de la came », j’y crois pas. Si c’est pour voir ce que ça améliorerait ou pas, alors oui. Mais sur seulement 100 cas…bof. C’est pas un peu pour se donner bonne conscience ?
A : Franchement, j’crois que les gens qui participeront, ce sera surtout pour avoir de la bonne came gratuite, et basta. Pas pour essayer de décrocher, de se réintégrer, et pas non plus « pour la science » ! En fait, y risque de sortir de là aussi accro qu’avant, si pas plus.
C : Et puis ça risque de poser des problèmes, des tensions dans la communauté. On pourrait presque parler de discrimination. Déjà, j’crois pas qui va y avoir beaucoup de fumeurs d’héros repris. Et ça va créer une différence entre des privilégiés qui sont dans l’expérience, qui recevront tous les jours leurs doses de super came gratos, et en toute légalité, et tous les autres qui continueront à galérer, à se ruiner et à faire n’importe quoi pour leur dose, et en plus qui risqueront toujours de se faire choper par les flics et de voler au trou. C’est pas juste ! Même les consommateurs d’autres drogues pourraient râler: risquer des emmerdes avec la justice pour 5 grammes d’herbe alors que les autorités du même endroit fourguent des drogues dures à d’autres sans problème.