2. Cartographie de l’intime

Download PDF

Carl, 47 ans

C4 : Quel est le principe selon lequel vous avez conçu l’espace dans lequel vous vivez ?

Carl : On ne l’a pas conçu, l’espace nous était donné lorsqu’on a acheté cette petite maison en hauteur assez étroite dans lesquelles les choses se sont réparties presque d’elles-mêmes. Avec des espaces tout à fait classiques où on mange, on fait la cuisine, on vit,… Et, heureusement, dans les étages, des espaces qui nous permettaient à l’un et à l’autre d’avoir nos lieux d’autonomie. Je travaille beaucoup à la maison et j’ai besoin à la fois d’un bureau et d’un atelier. On cherchait un espace qui soit suffisamment fragmentable pour qu’on puisse s’y répartir et s’y côtoyer heureusement.

C4 : Comment les espaces personnels ont-ils été définis ?

C. : Un peu par hasard. Il n’y a pas eu de longues discussions parce que l’espace proposait lui-même son occupation. Il y avait en bas les espaces de vie, dans les étages les chambres, dans lesquelles on a emboîté un espace de travail. J’ai pris l’espace le plus en hauteur de la maison pour installer un bureau et un grenier que j’ai aménagé en atelier. On a deux enfants. Le reste sont des espaces chambres qui se modifient selon leur désir d’être ou pas l’une à côté de l’autre. ça a bougé à plusieurs reprises. L’organisation actuelle va sans doute encore bouger quand les enfants grandiront.

C4 : Quel est l’espace de votre compagne ?

C. : Elle a installé son bureau dans ce qui est une sorte de petit salon collectif. Jusqu’à présent, son espace professionnel lui suffisait. Mais maintenant, elle a envie d’avoir un espace à elle, complètement retiré. C’est une des modalités du changement de la circulation des chambres. J’ai un bureau parce que je travaille beaucoup à la maison, donc ça s’imposait presque. Mais maintenant que le besoin s’en fait sentir pour elle, on va réorganiser.

C4 : Est-ce que votre compagne a une place dans votre espace ? Et vous dans le sien ?

C. : Oui, assurément. Mais en même temps, ce sont des espaces privés. Parfois on s’y retrouve, on y travaille ensemble, mais on veut avoir chacun un espace qui nous appartienne. Ce n’est même pas une décision, ça se fait tout spontanément. Et c’est la même chose pour les enfants, personne ne passe jamais un temps qui lui appartiendrait en propre dans une chambre qui n’est pas la sienne. Ils m’accompagnent dans mon bureau, quand je les y invite ou quand on fait les devoirs, mais jamais ils n’y vont seuls. On a la chance d’avoir de l’espace, ce n’est pas une très grande maison, mais on a tout de suite vu qu’on pouvait y aménager des lieux de vie à la fois partagés et autonomes. C’est évidemment très important, mais il n’y a pas à fermer les portes ou interdire l’accès à qui que ce soit.

Olivier Rameau, 28 ans

Mlle Colombe, 23 ans

C4 : Comment avez-vous organisé l’espace dans lequel vous vivez ?

O.Rameau : On a commencé avant d’emménager car on avait des besoins différents. Une des conditions c’était deux chambres, dont une deviendrait un atelier pour que je puisse dessiner. Le reste m’était plus ou moins égal.
L’installation s’est faite rapidement. Je venais d’un studio et n’avais pas beaucoup de mobilier. Elle, par contre, a amené plein de meubles… Une salle à manger, une chambre à coucher complète, etc. ça ne me pose pas de problème, il fallait remplir l’espace. Par contre, on a éprouvé des difficultés à mélanger nos affaires. Mes livres correspondent à ma personnalité, mon univers. Mais il y avait des caisses et on devait ranger. Elle a eu un peu de mal avec ça. Elle s’est sentie bousculée et envahie. Pourtant elle avait plus de meubles que moi. J’ai expliqué que c’est ridicule d’avoir chacun son coin livre, son coin musique. À part pour des éléments intimes et quelques bouquins, on a tout mélangé.

C4 : Vous avez chacun votre espace personnel ?

O.R : Oui, le mien,
c’est l’atelier, qui est partagé avec un espace buanderie et bric à braque. On a aussi défini des zones fumeur et non-fumeurs. Dans le salon et la cuisine, ça ne me pose pas de problème. Cela dit, je ne me rendais pas compte de ce que c’était de vivre avec quelqu’un qui fume beaucoup. Quand je rentre et que ça pue la clope, je me sens agressé. Maintenant, on ouvre la fenêtre quand on fume. Pareil quand on reçoit des amis.
Son espace à elle, c’est son fauteuil transat. Moi j’ai besoin d’un espace fixe, elle préfère prendre son ordinateur portable et travailler dans le salon. Je crois que son mobilier défini aussi un espace personnel. On le partage, mais c’est quand même sa table, ses chaises, ses armoires, son fauteuil, …

C4 : Y a-t-il une manière de signaler que l’endroit est ouvert ou fermé ?

O.R : L’espace reste très ouvert, il y a juste des moments où moi, j’ai besoin de m’isoler. C’est plus une demande dans le temps que dans l’espace. Ce n’est pas un espace qui n’appartient qu’à moi. Il y a encore le lit d’ami, la buanderie, le congélateur et son bureau qu’elle n’utilise jamais. Parfois je m’enferme pendant une heure ou deux, jamais plus. Parfois je l’invite à rentrer dans mon coin.

C4 : Est-ce qu’il y a tentative d’envahissement du territoire ?

O.R : Les photos et les objets sont une manière significative de marquer son territoire. Il y a des choses que je ne voulais pas avoir. Parce que je trouvais ça moche, où qu’il y avait déjà trop de trucs. La clope est aussi une manière de marquer un territoire qu’on prend à l’autre. Moi, je préfèrerais qu’il n’y ait pas du tout de fumée.
On a deux tables dans la cuisine. Une qui m’appartient et une qui lui appartient. On a interverti les deux pour des raisons pratiques. Les deux restent dans la pièce, elles ont des fonctions différentes. J’aime bien modifier l’espace aussi. Au début, la salle à manger et le salon faisaient partie d’un tout et maintenant on l’a séparé en deux.

Sinon, jusqu’il y a peu, elle ne savait pas où se trouvait notre cave. C’est chaque fois moi qui y descends. Elle n’avait jamais besoin d’y descendre. Pour moi, ça fait partie de l’appartement, pour elle pas, c’est comique. Je crois que la détermination de l’espace est liée à notre organisation dans la vie, à la manière dont on a réparti les tâches ménagères et surtout de notre besoin d’intimité.

Hamed Hany, enseignant et calligraphe, 55 ans.

En ce qui nous concerne, notre famille ne représente pas le type de famille arabe qu’on trouve ici. Nous sommes tous les deux architectes, avec une licence en plus qui nous permet d’enseigner. Souvent, on est ensemble à la table de la salle à manger et chacun étale ses papiers. J’ai développé une passion pour la BD et il me faut un territoire rien que pour le dessin. J’ai construit un espace de 45 m2 de travail, de méditation et de recueillement.

Mais cet espace est ouvert à ma femme et mes enfants. Ma femme a un fauteuil à elle. Elle travaille dans l’enseignement primaire. Elle a son bureau et la moitié du meuble de salon avec ses livres, ses papiers. Dans la chambre, évidemment, tout est à elle. On a une garde robe à huit portes: deux pour moi et six pour elle. Sinon, mes enfants et moi, on envahit la cuisine le plus souvent possible. C’est un choix d’éducation. Quand je suis arrivé ici à 35 ans, j’ai su me débrouiller parce que ma mère m’avait montré comment on cuit le riz… Le garage est plutôt un espace de rangement et de travail pour moi. Le jardin, ce sont les garçons et moi. J’ai tout essayé pour l’y introduire, mais en vain.

D’une façon générale, plus vous montez dans l’échelle sociale, plus la famille belge et la famille arabe se rapprochent. On trouvera plus l’homme dans la cuisine et la femme dans le bureau. Si vous descendez, c’est l’inverse.
Première grosse subdivision: l’extérieur. La protection, l’entretien etc., reviennent à l’homme tandis que la femme assume l’éducation, la gestion de l’argent de la famille et l’entretien. Elle peut travailler et même
garder son argent pour elle. La religion joue un rôle important dans la structuration de la famille. Ma mère, par exemple, n’a jamais travaillé. Ma femme travaille et garde son argent pour acheter des biens qui reviendront au final aux enfants.

L’espace maison est en principe entièrement donné à la femme, qui l’organise à sa manière. L’homme devient une sorte d’invité. S’il souhaite avoir un espace supplémentaire, il doit le demander à sa femme.

Dans la famille arabe traditionnelle, la maison est fermée de l’extérieur. Comme l’homme et la femme du point de vue vestimentaire! Les deux portent un vêtement ample avec la tête couverte. Ici, c’est une déformation qui a fait que seule la femme porte le foulard. La richesse se trouve à l’intérieur et pas à l’extérieur de l’espace. Lorsque vous avez passé la porte d’entrée, vous arrivez à un patio, avec une fontaine, des arbres et un couloir avec des colonnes et des chambres avec de grandes fenêtres. Le jardin qui est à l’intérieur de la maison ressemble au paradis et c’est là que l’activité sociale se joue. Dans les familles aisées, on spécifie les espaces pour chacun.

Une autre subdivision importante: séparer les hommes des femmes par rapport aux invités. Quand il s’agit de la famille, on est tous ensemble dans l’espace central. Dans les villes, on essaye de garder cette proximité de la famille. Ici c’est fini.

Aucun commentaire jusqu'à présent.

Laisser un commentaire

Votre adresse e-mail ne sera pas publiée. Les champs obligatoires sont indiqués avec *

Ce site utilise Akismet pour réduire les indésirables. En savoir plus sur comment les données de vos commentaires sont utilisées.

Archives

Catégories

Auteurs