Fin des années 70, un régime théocratique dur se met en place en Iran où Saïd est photographe. Début des années 80, c’est la guerre avec l’Irak – « Il y avait des rafles dans les rues, si on te prenait on t’envoyait au front ». Il vend sa voiture, tout son matos et s’enfuit. Il traverse la frontière à pied et s’introduit au Pakistan où il a un plan pour se procurer un passeport. Il prend un avion à Karachi direction Bombay où il a un pote iranien qui peut lui avoir un autre passeport, suisse, avec lequel il tentera de gagner le Canada via l’Espagne.
À Madrid, les douaniers ne le croient pas très suisse: « Ils m’ont demandé de compter jusqu’à 10 dans une des quatre langues officielles du pays ». Impossible. On l’accuse d’avoir voulu pénétrer en territoire espagnol avec des faux papiers. Il finit en cellule à l’aéroport. Un avocat de l’ONU est envoyé pour s’occuper de lui. Pas trop de chance, c’est un Libanais chiite : il est favorable à Khomeyni et ne comprend pas qu’on veuille fuir l’Iran. Au bout de 11 jours, l’avocat a tout foiré et Saïd est réexpédié en Inde sans un sou en poche.
À l’aéroport, il ne peut quitter la zone de transit : s’il sort, il est clandestin en Inde et ce n’est pas un bon plan du tout. Il mendie auprès des touristes autour de lui les quelques pièces qui lui permettront de remettre la main sur cet ami qui l’avait aidé… Le gars s’est cassé la jambe dans un accident de moto, il est injoignable. Il a du mal à convaincre les rares autres trop vagues connaissances qu’il a en Inde – « ils me croyaient au Canada et pensaient que je leur faisais une blague, j’avais peur que le téléphone coupe… ». Après 48h à se planquer dans la zone de transit de l’aéroport de Bombay, il retrouve son douanier de contact et sort de là.
Pendant 6 mois, il bosse dans un pseudo business d’import-export entre l’Inde, Singapour et Hong-Kong et se refait une santé financière. De quoi se repayer un billet pour la Belgique, le passeport lui est offert à prix d’ami.
Aujourd’hui Saïd est belge et il tient à préciser : «J’ai eu l’occasion de voyager avec des papiers en règle, ça n’a rien à voir, c’est un autre monde quand on est clandestin ! C’est inimaginable la torture mentale qu’on subit : la peur de tout à tout moment. Je ne l’ai jamais oublié. »