La pub, combien de divisions?

Download PDF

Le secteur de la publicité représente environ 2,7 milliards d’euros en Belgique, soit un centième de son PIB et plus d’une dizaine de milliers d’emplois. Le marché mondial de la publicité était quant à lui estimé en 2006 à un peu plus de 400 milliards de dollars, qui se répartissent de la façon suivante: 2 milliards dans le cinéma, 16 milliards sur le net, 21 pour le hors-média, 35 pour la radio, 54 pour les magazines, 120 pour les journaux et plus de 150 pour la télévision. Ces chiffres connaissent une augmentation constante très marquée, notamment sur Internet où la publicité connaît actuellement une véritable explosion.

On ne parle cependant ici que de la publicité «traditionnelle». Il faut lui ajouter divers types d’opérations de promotion commerciale qui pèsent au bas mot 120 milliards de dollars par an au niveau mondial. En fait, le secteur de la publicité est difficile à circonscrire et, à mesure que les logiques du marketing et de la publicité pénètrent de multiples champs de la société, il devient de plus en plus malaisé de faire une évaluation quantitative précise de la réalité économique du phénomène publicitaire.

Tous les chiffres disponibles sont d’ailleurs, pour l’essentiel, tirés des données émises par les publicitaires eux-mêmes, de sorte qu’il convient de les traiter avec un minimum de circonspection. Si ces statistiques sont parfois révélatrices de certaines stratégies publicitaires, elles tendent aussi à sérieusement noyer le poisson et n’ont en tout été de cause pas pour objectif d’établir une photographie objective de la situation, mais plutôt d’aider tel ou tel acteur à conquérir de nouveaux marchés, à affirmer sa position dominante, à combattre un concurrent dans un contexte où la rivalité est parfois exacerbée.

La littérature scientifique fiable sur le sujet est rare et même les productions universitaires qui prennent la publicité pour objet doivent parfois être lues avec prudence, comme cette thèse en sciences économiques dont le Figaro faisait écho dans son édition du 30 avril dernier en notant benoîtement qu’elle a été «cofinancée par les annonceurs»; ce qui n’empêchait pas le journal de M.~Dassault d’en reprendre les conclusions — laudatives — de façon parfaitement acritique.

La pub est-elle économiquement rationnelle?

Quoi qu’il en soit, la publicité représente des sommes colossales, il est donc utile de se demander si elle a un impact justifiant l’engagement de ces moyens considérables qui lui sont consacrés par les «annonceurs». Beaucoup d’entre nous sont en effet persuadés de l’inocuité de la publicité sur leurs comportements de consommation. Habitués à l’agression quotidienne de la publicité, nous érigeons des défenses mentales ou techniques, tentont de l’éviter là où c’est possible, de façon à nous rendre autant que faire se peut insensibles au contenu des messages publicitaires. On sait d’ailleurs que parmi les milliers de pubs qui touchent chaque jour en moyenne un habitant d’une grande ville occidentale, seul un pourcentage extrêmement réduit d’entre elles sera perçu par lui. Ces quelques publicités qui atteignent finalement leur but suffisent cependant à justifier des milliards d’euros de dépenses.

En fait, le rôle de la publicité n’est pas nécessairement celui qu’on pense. Une de ses fonctions est ainsi de permettre au consommateur de rationaliser son achat après coup, de lui économiser, en quelque sorte, la mauvaise conscience résultant d’une dépense. Par ailleurs, si le système publicitaire contribue probablement à stimuler la demande globale, c’est surtout son influence sur la répartition de la demande qui intéresse les annonceurs. Autrement dit, la publicité vous incite probablement à acheter une plus grande quantité de soda que vous n’auriez fait en son absence, mais c’est surtout le choix que vous ferez de telle ou telle marque qui intéresse les fabricants.

Bref, sur un plan individuel, la publicité correspond bel et bien à une
rationnalité économique: recourir à la publicité est un calcul gagnant pour une entreprise, cela lui fera gagner de l’argent, cela confortera bien souvent sa position sur le marché, cela augmentera la valeur du capital immatériel que constitue sa marque.

En va-t-il de même au niveau agrégé de l’économie toute entière ? En va-t-il de même sur un plan collectif? Rien n’est moins sûr. Les effets bénéfiques de la publicité pour un annonceur se réduisent en effet drastiquement dès lors que tous ses concurrents font la même chose — c’est ce qu’on appelle le dilemme du prisonnier — et, assez rapidement, l’enjeu pour eux devient plus de ne pas perdre des parts de marché bien plus que de faire connaître leur produit. Et, dans de nombreux secteurs économiques, on assiste à une véritable surrenchère publicitaire qui voit certaines entreprises consacrer jusqu’à des dizaines de pourcents de leur chiffre d’affaires à la publicité, sommes qui sont bien sûr en fin de compte assumées par chacun d’entre nous dès lors que nous achetons leurs produits. Ce faisant, la publicité quitte définitivement les rivages de la réclame, dont elle se revendique encore parfois pour rejoindre ceux de la propagande la plus dure: l’objectif de la publicité n’est plus du tout d’informer le consommateur de l’existence d’un produit ou d’un service. L’objectif est de trouver la manière la plus efficace de le conditionner pour le pousser au comportement d’achat.

On comprendra mieux ce caractère collectivement vain de la publicité en étudiant un marché comme celui de l’automobile. Les constructeurs de ces petites choses comptent en effet parmi les annonceurs les plus importants. L’achat d’une voiture représente lui aussi un des achats les plus importants dans le budget des ménages; ce qui rend les chiffres éloquents. Ainsi, lorsque vous achetez une Opel, vous devez savoir que, dans le prix que vous payez, 1118~EUR auront été consacrés à la pub. Pour une Toyota, ce sera 1055~EUR, pour une Ford 982, etc. Ces chiffres concernent la France; il sont cependant représentatifs de la situation de tous les pays occidentaux, seuls quelques variations selon le taux de pénétration des marques sur les marchés nationaux seront observées. Mais dans l’ensemble, lorsque vous achetez une voiture neuve, vous consacrez jusqu’à un mois du salaire d’un petit employé au paiement de la publicité liée à cette voiture. Si les chiffres sont particulièrement frappants en ce qui concerne les voitures, on trouvera de très nombreux produits pour lesquels la part de la publicité est aussi très importante dans le prix payé par le consommateur.

Aux protestations qui ne manquent pas d’arriver quand on publie ce genre de chiffres, les entrepreneurs répondent que la publicité permet d’augmenter le nombre des ventes et par conséquent de réduire les coûts fixes incorporés (construction des chaînes de montage, recherche et développement) dans le prix de chaque voiture. Ce type de raisonnement est économiquement valable sur le plan individuel à court terme; il ne l’est plus sur le plan collectif — ou dès le moment où l’emballement de la surenchère publicitaire se produit. Un plafonnement légal des dépenses publicitaires autorisées serait, par exemple, probablement bien mieux à même de réduire le prix payé in fine par le consommateur.

Des mesures contraignantes visant à réduire la publicité se heurtent cependant de front aux idéologues de la croissance économique. La publicité contribue en effet plus que probablement à la surconsommation, dont dépend notre sacro-sainte croissance. Que cette croissance n’ait plus la moindre signification en termes de bien-être, les comptes nationaux n’en ont que faire. Cesser la course en avant, selon la rationnalité qu’ils ont mise en place, ce serait tomber. Poursuivre dans le fonctionnement actuel, c’est aller dans le mur. On a le choix.

Aucun commentaire jusqu'à présent.

Laisser un commentaire

Votre adresse e-mail ne sera pas publiée. Les champs obligatoires sont indiqués avec *

Ce site utilise Akismet pour réduire les indésirables. En savoir plus sur comment les données de vos commentaires sont utilisées.

Archives

Catégories

Auteurs